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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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évidemment. J’aimais sa manière d’allumer des cigarettes, le son même de sa voix étrangement lasse sur la fin des phrases, l’assurance tranquille de son regard qui n’avait rien oublié. C’était une femme comme je n’en avais jamais vu dans la vie.
    — Et toi, garçon, raconte-moi un peu pourquoi tu cherches Gomez Riken ?
    — Je voudrais travailler la nuit comme barman et rencontrer des gens… C’est M me  Donadieu, la patronne de mon hôtel dans le XII e , qui m’a donné le nom de l’accordéoniste.
    — C’était un bon gars, un sacré musicien, mais il s’ennuyait loin de la Roumanie, il est reparti là-bas. Le mal du pays a été plus fort que sa peur des communistes…
    J’avais fini par accepter un peu de vodka dans mon jus d’orange, le pianiste jouait maintenant des mélodies de Cole Porter. Entre-temps, une dizaine de clients étaient entrés finir leur soirée à « La Maison rose ». Mado m’abandonnait à intervalles réguliers pour aller prendre les commandes, remplacer les cendriers et s’entretenir avec les habitués d’avant, un peu étonnés du changement de décor.
    « La Maison rose » nouvelle version venait juste d’ouvrir après six mois de travaux. Mado restait provisoirement le dernier lien avec le passé.
    — Encore deux mois, pas plus, me dit-elle. Le gros Samyr, là-bas, s’il s’imagine que je vais jouer la poupée d’amour pour ses beaux yeux, y s’trompe de harem !
    L’expression « poupée d’amour » m’avait enchanté.
    Quand on a grandi à Bellac, une ville très éloignée de la rue des Martyrs, on se réjouit d’un rien.
    Le gros Samyr n’était pas aussi Libanais que je le croyais. Il arrivait d’Algérie où il ne faisait plus bon vivre comme avant. Le bruit des fusillades troublait sa digestion. À Montmartre, les Arabes rasaient les murs.
    — J’en fais mon affaire, m’avait juré Mado, je vais lui demander de t’engager. Il ne peut rien me refuser, j’en sais trop…
    Le jour se levait et Pigalle, au petit matin, n’est pas beau à voir.

X
    Ils ont laissé les scellés sur la porte de la chambre 14 plus d’une semaine. M me  Donadieu, redevenue réaliste, se plaignait d’ailleurs du manque à gagner.
    — Si l’enquête dure six mois, j’en serai de ma poche…
    Les directeurs de journaux avaient certainement jugé l’affaire sans intérêt puisqu’ils ne consacrèrent que de brefs entrefilets au crime de l’impasse Crozatier.
    Seul, Samedi-Soir, un hebdomadaire spécialisé, publia un long article passionnant, intitulé : « L’assassin était impuissant », au-dessus duquel se détachait une photo floue de mon pauvre voisin. On voyait bien, malgré le mauvais tirage, que cet homme-là n’avait pas une tête à être heureux en amour. J’étais cité deux fois dans l’article, à propos du fameux carnet et le journaliste s’interrogeait habilement à l’aide de points d’interrogation sur ce qu’il appelait « l’étrange mutisme d’un fils de sous-préfet ».
    C’était me faire beaucoup d’honneur.
    Robert Kibler avoua, la police vint retirer les scellés. M me  Donadieu fit réparer la robinetterie de la chambre 14 et rangea soigneusement l’article de Samedi-Soir sous une pile de draps. Un réflexe paysan dû à ses origines normandes. Les amateurs de faits divers espéraient bien une suite moins banale, mais qu’y puis-je ?
    J’avais quand même fini par rompre avec Jeanine et c’était mieux ainsi. Elle méritait un fiancé plus entreprenant que moi ; un gars comme le loueur de barques du bois de Vincennes, susceptible de la faire rire et de l’accompagner au marché. Je n’étais pas né pour cela. Depuis ma nuit à « La Maison rose » j’avais le sommeil plus léger. Je restais de longues heures allongé sur mon lit, incapable de choisir entre mes chagrins et mes illusions. Il aurait fallu que je parle à quelqu’un d’assez patient pour m’écouter jusqu’au bout.
    Je n’ai jamais traversé en courant la salle à manger de la sous-préfecture pour me jeter dans les bras de mon père.
    Il m’avait dit : « Un homme ne pleure pas. »
    Je l’avais cru, bien sûr, et je sens encore, à la pointe de mon menton, son index tendu pour m’obliger à relever la tête.
    Louis d’Entraigue m’a-t-il, ce jour-là, condamné au silence ?
    Les grandes personnes devraient peser leurs mots.
    Si mon père m’avait simplement pris la main à la sortie de l’école, je

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