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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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thème principal de Ramona, une musique lancinante, qui plaisait énormément à M. Mathias.
    Comme tous les hommes d’affaires sérieux, M. Mathias avait besoin de romantisme. Quand le gros Samyr voulait l’entraîner chez les filles à Pigalle, il se défilait au dernier moment. Il était jeune, mais on ne le remarquait pas immédiatement.
    Les types qui venaient le rejoindre (plus âgés pourtant) semblaient craintifs devant lui. Je trouvais plaisant de suivre le manège de « ces gros bras aux poches pleines », selon l’expression imagée de Mado, prêts à se battre pour offrir du feu à M. Mathias.
    — Il est sûrement un peu pédé, mais la gaudriole et lui, ça fait deux…
    Je préférais ne pas entrer dans ces considérations d’ordre sexuel ; quand M. Mathias proposait de me raccompagner à mon hôtel, j’acceptais sans me faire prier. Si je prenais des risques, j’économisais aussi un taxi et je dois reconnaître qu’il n’a jamais eu un geste louche au sens où l’abbé Jean l’entendait. Non, rien. Si l’on veut bien ne pas exagérer l’importance d’un frôlement ou d’une poignée de main prolongée.
    Mado jugeait mon innocence dangereuse.
    — Calme-toi, garçon, calme-toi, Mathias s’occupe de politique et pas pour rigoler, compris !
    Moi, l’Algérie française, je n’y comprenais rien ; a priori j’étais plutôt partisan qu’on la garde pour nous, aussi blanche et tranquille que dans mes livres de classe, mais j’étais nullement disposé à prendre les armes pour si peu. Les gens de « La Maison rose » s’énervaient à ce sujet ; par prudence, je ne me mêlais pas de leurs conversations, qui risquaient de tourner mal à tout moment.
    Mon père aussi faisait de la politique, forcément, mais nous n’en parlions pas à table. Je sais seulement qu’il n’aimait pas Mendès France, pas assez catholique à son goût. Aurait-il supporté ce général de Gaulle, dont le nom tracé à la peinture blanche salissait les murs du métro ?
    Le gros Samyr, lui, se méfiait.
    — Il nous lâchera, le grand con, parole… il nous lâchera. Déjà en 40, il était avec les cocos…
    Malgré des apparences tamisées, une musique douce et des couleurs pastel, on pouvait s’inquiéter, certains soirs, à « La Maison rose ». Un coup de feu aurait pu tout gâcher.
    Quand M. Mathias était là, rêveur, en écoutant Ramona, les filles, qui servaient d’habitude à faire joli dans le décor, parlaient deux tons plus bas et les clients, portés sur la rigolade ne s’avisaient pas à jouer les mariolles. Il en imposait.
    On le disait de la police et le gros Samyr laissait dire, ça l’arrangeait.
    Mado les soupçonnait d’une complicité autrement inquiétante à propos des événements d’Algérie.
    On dansait quand même à « La Maison rose » et le célibataire de passage pouvait toujours espérer faire la connaissance d’une petite femme de Paris. Je facilitais d’ailleurs ces rapprochements avec la discrétion que commandait ma fonction. Oui, je suis responsable de quelques nuits d’amour sur la butte Montmartre, à la fin des années cinquante, et Mado s’émerveillait de mon sens de l’organisation.
    — Tu te débrouilles bien pour un élève des bons Pères !
    J’étais fier, en effet. Après tout, rien ne me prédisposait à débuter dans la vie derrière le bar d’un cabaret !
    Ceux qui vécurent cette époque bénie et passèrent – fût-ce une heure – rue des Martyrs se rappellent m’avoir vu mimer une rumba, en agitant gaiement au-dessus de ma tête l’ustensile chromé qui sert à mélanger les cocktails.
    Je n’étais apparemment pas à plaindre, et le gros Samyr était content de moi.

XIII
    Il a bien fallu que j’annonce à M me  Donadieu que je m’en allais habiter Arcueil. J’eus beau lui promettre de revenir jouer à la canasta, au moins une fois par semaine, elle s’étonna quand même de mon infidélité.
    — J’aurais jamais cru ça de vous, monsieur Laurent… On ne m’enlèvera pas de l’idée que vous partez pour une histoire de femme.
    Elle avait raison, bien sûr. On ne s’en va pas sans excuse valable à Arcueil.
    Mado m’avait proposé de partager avec elle le pavillon, héritage d’un parrain, où elle comptait s’organiser une existence moins voyante.
    — On sera bien, tu verras, chacun notre chambre… Ensemble, mais indépendants.
    Je ne demandais pas mieux et Mado ressemblait suffisamment à

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