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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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jamais ! Mon père serait content, je crois. Et vous ? J’espère que la solitude n’est pas trop dure à supporter. Écrivez-moi si vous le voulez, nous avons peut-être des choses à nous dire. Votre Laurent. »
    J’avais réfléchi au moindre mot, je ne pouvais pas rompre en quelques lignes avec le dernier témoin de mon enfance. Je mentais un peu pour lui donner l’occasion de me féliciter.
    Comment lui expliquer, en effet, Mado et « La Maison rose » sans paraître la provoquer ?
    En remontant la rue des Martyrs, j’évaluais mes chances de succès.
    Et si Lucienne me faisait répondre par un avocat, me proposant de régler les problèmes de succession ? Froidement. C’était bien dans sa nature. Après tout, j’étais parti sans laisser d’adresse.

XIV
    Dernier domicile connu : 22, rue de la Grange-Batelière, Paris, IX e  arrondissement.
    En me tendant le formulaire qu’elle venait de remplir après avoir consulté d’imposants registres recouverts de tissu bordeaux, la dame de la mairie m’avait prévenu :
    — Vous avez une chance sur cent ! Nous n’avons plus de renseignements sur cette personne depuis le mois de septembre 1952…
    — Ça ne fait rien, je me débrouillerai. Merci, madame.
    Nous étions le 2 mai 1960, et la suite dépendait de moi. Aurais-je le courage de remonter si loin ?
    Si oui, à quelle déception allais-je m’exposer ?
    Maria Luisa Rodriguez s’appelait sans doute autrement et l’on suppose qu’elle parlait enfin un français impeccable !
    Cette version me faisait peur. Je n’avais aucun droit sur une femme qui peut-être voulait guérir ! Si, au contraire, elle m’attendait, aurais-je assez de force pour la consoler ? Ai-je vraiment envie d’entendre ce qu’elle me dira ?
    Autant de questions sans réponses.
    Les trottoirs de Paris étaient jonchés de tracts syndicaux, distribués la veille lors du traditionnel défilé du 1 er  Mai.
    Des dizaines de milliers de braves gens avaient manifesté en chantant L’Internationale. Je me souvenais que mon père avait horreur de ces jours-là. Il allait à Limoges rejoindre les autorités, pour prévenir les débordements. Tant de drapeaux rouges et de poings levés le rendaient fou.
    Je déposais quand même un brin de muguet sur son bureau.
    « Paix en Algérie », « Liberté dans l’entreprise », « Les travailleurs algériens avec nous ». Voilà qui me ramenait au présent. J’aurais à remplir mes obligations militaires, moi aussi. À choisir mon camp. À quoi pouvaient bien penser les garçons de mon âge en prenant le bateau à Marseille pour s’en aller faire la guerre au pays des maisons blanches ?
    Quand Mado me promettait Istanbul, j’imaginais Alger.
    — Ce sera fini avant trois mois, me disait-elle… Ils s’arrangeront, je les connais.
    À « La Maison rose » M. Mathias et les autres étaient moins conciliants. Je surprenais des conversations tendues, des projets dangereux, que n’adoucissait pas la musique du pianiste des Folies-Bergère.
    Qui croire ?
    L’apparente tranquillité des gens de la rue ne s’accordait pas avec les titres des journaux du soir. Des mauvais coups se préparaient dans des endroits inattendus.
    Et si ma jeunesse s’achevait plus vite que prévu au calendrier ?
    Au 62 de l’avenue Paul-Vaillant-Couturier les cerisiers refleurissaient, et nous nous attardions, Mado et moi, à bavarder dans le jardin, le mardi généralement, mon jour de congé. Un haut mur de brique rouge nous protégeait du voisinage.
    Ce soir-là fut assez tendre pour que je m’en souvienne si longtemps après… Il faisait aussi doux que possible et Mado avait disposé, sur la table en fer rouillé, des pinces de manucure, des limes en carton, des crèmes adoucissantes et toutes sortes de vernis à ongles, aux couleurs vives.
    Un cérémonial dont je ne me lassais pas.
    J’aimais regarder Mado entretenir ses mains avec application, comme si elle s’apprêtait à paraître en public. Une manie de femme habituée à plaire, qui semblait pourtant apprécier les joies simples d’une vie en banlieue.
    — À quoi tu penses, Laurent ?
    — Que je suis bien et que ça ne va pas durer…
    — Toi, garçon, tu me caches quelque chose… Un chagrin d’amour, par exemple !
    Cette éventualité la faisait sourire. Elle connaissait la question.
    — Non, Mado, je t’assure, l’amour, c’est trop compliqué pour moi. Je voudrais seulement savoir où je vais

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