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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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pourrais embellir mes souvenirs et marcher dans la vie sans avoir peur. Mais non, il écrivait des discours.
    On trouve aussi des excuses à ma mélancolie dans le jardin du presbytère, le jeudi en fin d’après-midi après le catéchisme. L’abbé Jean me gardait plus tard que prévu à ramasser des pommes. À lui je pouvais poser des questions embarrassantes, il me répondait gentiment.
    J’aurais dû croire en Dieu pour lui faire plaisir, mais j’avais des doutes. Je préférais jouer le diable dans les pièces de théâtre qu’il montait, le lundi de Pâques et la semaine de Noël.
    — Ton père ne sera pas content !
    Il riait, puis il me laissait faire et d’ailleurs mon père ne venait pas à la représentation. Pour entendre le son de sa voix, je collais mon oreille à la porte de son bureau. Comment Lucienne avait-elle pu aimer un homme, préoccupé seulement de la bonne marche de son département ?
    Que nous cachait-il de tellement indicible ?
    J’avais passé mon enfance à me le demander et je continuais.
    Peut-être aurait-il fini par m’avouer la vérité ? Trop tard. Je devais me débrouiller avec des riens : un bulletin de naissance, quelques photos, une dame sur un pont de chemin de fer, une autre moins jeune dans un pavillon en banlieue. Il allait me falloir beaucoup de patience pour rassembler les morceaux de ma mémoire.
    À cette époque, les vacances n’en finissaient pas. Interminables dans les derniers jours de septembre, quand je m’ennuyais derrière les volets mi-clos de ma chambre en griffonnant des petits poèmes sur la tristesse des clowns ou la fragilité des roses.
    J’en avais lu un à Louis d’Entraigue, que je trouvais réussi. Il me conseilla plutôt de réviser mes cours de géographie.
    — L’avenir n’appartient pas aux poètes, Laurent !
    Lucienne était bien de son avis, mais c’est le contraire qui m’eût étonné.
    Comme ces jours-là, dix ans après dans la pénombre d’une chambre d’hôtel à Paris, j’entendais des enfants courir sous ma fenêtre. Ceux-là n’écrivaient pas de poèmes.

XI
    Mado m’a téléphoné un soir d’octobre, alors que j’allais sortir retrouver une jeune fille assez jolie, rencontrée la veille, boulevard de Picpus et qui vendait ses dessins aux promeneurs dont j’étais.
    — Une femme vous demande !
    M me  Donadieu n’était pas spécialement enchantée à cette idée.
    J’ai dévalé les trois étages sans reprendre mon souffle, délivré enfin d’un long silence. Ça ne pouvait être qu’elle.
    — Bonjour, Laurent, je suis Mado… « La Maison rose », tu te souviens ?
    Je n’avais pas oublié, mais je n’espérais plus. Il s’était passé deux mois depuis ma visite rue des Martyrs et j’envisageais des situations provisoires me laissant libre pour mener mon enquête. M me  Donadieu, avec qui je jouais régulièrement à la canasta, interrompait nos parties pour s’inquiéter quand même de mon manque d’ambition.
    — Voyons mon petit Laurent, s’écriait-elle, devenant familière brusquement (la faute au vin cuit), vous ne pouvez pas rester sans réagir dans l’attente d’une place de barman à Montmartre ! Un fils de famille, ça devient notaire ou médecin… Allez, trinquons, mon petit Laurent, vous êtes jeune, vous êtes beau, et en plus vous avez lu des livres, alors quoi ?
    Je balbutiais quelques mots en battant les cartes, elle me réservait un fond de porto et je renonçais à lui avouer la vérité sur le fils de famille. Comment lui dire, en effet, que je n’avais pas de famille, justement !
    Ce n’était pas une raison suffisante, j’en conviens, pour expliquer mon goût de la nuit et des bars à tangos : mais j’avais du sang espagnol. De cela, j’étais sûr. Ma mère s’appelait Rodriguez, et cette preuve formelle ne quittait pas ma poche.
    Certains soirs, tandis que M me  Donadieu réfléchissait à sa dame de cœur, j’imaginais la mienne. Danseuse, peut-être, ou placeuse dans un cinéma d’Ivry ?
    Des professions assez étonnantes pour une fiancée de sous-préfet qui auraient justifié les hésitations de Louis d’Entraigue.
    À l’aube d’une carrière au service de la République, on épouse plutôt une jeune fille qui porte un chapeau. Pas des castagnettes.
    Juste avant la guerre, on ne rigolait pas avec les convenances.
    Lucienne était l’héritière d’un fabricant de porcelaine. Voilà pourquoi je prenais mon petit déjeuner dans du

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