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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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Laurent ! Il ne faut jurer de rien. Tu retourneras à Bellac vérifier ta mémoire…
    J’avais dans la poche de ma veste un projet plus pressé, mais je retardais sans cesse ma décision. Qu’allait-elle en penser ?
    Elle lut à haute voix le formulaire administratif que je venais de lui remettre en tremblant.
    « Maria Luisa Rodriguez, née en Espagne, localité non précisée. Mère de Laurent d’Entraigue, né le 16 octobre 1940 à Paris XII e . Dernier domicile connu : 22, rue de la Grange-Batelière, Paris, IX e  arrondissement. »
    — N’y va pas, garçon, fais-moi confiance, n’y va pas, tu risques ta jeunesse… Je suis là en attendant.
    Elle était là, en effet. La lune tombait pile sur ses cheveux défaits. Elle était belle et fatiguée soudain. Mado m’aimait sûrement. Son père était mort au combat, comme c’est écrit sur le monument d’Arcueil.
    Après, sa mère lui a présenté un parrain qui n’a jamais réparé la véranda. Une histoire ordinaire en somme. Pour tout le monde, pas pour elle. La suite ne compte pas vraiment.
    En refermant la porte de ma chambre, Mado m’a répété doucement :
    — N’y va pas, Laurent, n’y va pas…

XV
    J’y suis allé quand même, un samedi en fin d’après-midi, avant de monter à « La Maison rose ». J’avais choisi ce jour-là pour mettre plus de chance de mon côté. Le samedi, les gens restent chez eux.
    La rue de la Grange-Batelière se situe discrètement au cœur d’un quartier, par ailleurs animé, près du boulevard des Italiens à la hauteur du carrefour Richelieu-Drouot.
    Les commissaires-priseurs connaissent bien ce périmètre qui abrite l’hôtel des ventes. Des collectionneurs de timbres et des compositeurs célèbres viennent aussi dans ce coin peuplé de marchands d’objets rares et d’éditeurs de musique légère.
    Une concierge de la rue Rossini m’a assuré qu’on entendait parfois la voix de Charles Trenet s’envoler par les fenêtres ouvertes en été.
    — Il vient répéter au numéro 3, chez une marquise très aimable et qui vend des chansons, paraît-il. Vous pensez si je suis gâtée…
    En passant sous les fenêtres de la marquise, peut-être que ma mère avait été séduite à son tour par la voix de Charles Trenet ? Ce jour-là, rien.
    Je m’attardais à la vitrine de quelques boutiques anciennes. Toutes fermées. L’une d’elles, spécialisée dans la vente d’autographes et de documents manuscrits, proposait la signature de Clemenceau, une autre exposait des timbres oblitérés dans nos colonies.
    Je suis entré chez un confiseur de luxe acheter du chocolat à la pistache. Maison Rovillard, fondée en 1810. Cette inscription gravée sur du marbre noir m’avait inspiré confiance. Le petit monsieur voûté, qui m’a servi avec des pincettes, était assez vieux pour avoir connu la vie du quartier. Les habitants du 22, rue de la Grange-Batelière étaient aussi de ses clients.
    — Madame Rodriguez, Maria Luisa de son prénom, vous connaissez ?
    Il a relevé le cou, comme un drôle d’oiseau qu’on réveille. Vaguement surpris par ma question, il a réajusté ses lunettes.
    — Comment vous dites ?
    — Madame Rodriguez, une jolie dame brune avec un accent.
    — Non, monsieur, je ne connais pas, voilà quarante-deux ans que je vis dans le faubourg Montmartre et je ne veux pas d’histoires avec des étrangers. Vous êtes de la police ?
    Ça commençait mal. Je me suis excusé et j’ai traversé la rue de la Grange-Batelière en me jurant de ne pas renoncer pour si peu.
    On pouvait passer devant l’immeuble sans le voir ; la porte d’entrée était encastrée entre un bar-tabac, récemment rénové, et un antiquaire qui encombrait le trottoir de fauteuils Voltaire dépareillés.
    Le couloir, très sombre, n’avait pas été repeint depuis longtemps. La peinture s’écaillait par endroits et, comme la minuterie était en panne, j’ai dû craquer une pochette d’allumettes pour lire les noms inscrits sur les boîtes aux lettres. Le seul dont je me souvienne, c’est celui de Morgan. M. Morgan, monsieur sans doute. Moi j’ai pensé, bien sûr, à la personne blonde qui tournait des films avec Jean Gabin.
    Rien que des noms français pour compliquer mes recherches. J’ai soufflé une dernière allumette et, vu l’état des lieux, je l’ai jetée par terre. Je suis resté quelques secondes dans le noir, adossé à la rampe d’escalier pour trouver la force de me

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