Un garçon de France
Mimi avait peut-être raison : le chemin de la gloire passe aussi par la rue des Martyrs.
Mado, qui glissait parfois sa main sous ma veste de pyjama pour me réveiller en douceur, ne me posait pas de questions indiscrètes.
Elle s’inquiétait seulement les matins où elle ne m’entendait pas chanter sous la douche. Mimi ne faisait pas attention à ces nuances matinales, elle répétait ses rôles sans se soucier de moi.
Une petite différence, qui ne laisse pas insensible les garçons qui cherchent leur maman.
Mado, qui avait des doutes à mon propos, aurait pu vérifier que je bandais normalement quand elle venait me frictionner le dos à l’eau de Cologne. On ne pense pas à tout.
Je dis cela qui n’a, en fait, aucun intérêt, pour que l’on ne s’étonne pas de ma naïveté. Non ! Les orphelins ne sont pas à plaindre à longueur de journée.
La salle de bains, que je partageais avec Mado, retentit encore de nos éclats de rire, quand elle me barbouillait de rouge à lèvres, par exemple, ou qu’elle remettait son maillot de Miss Alger, bardé de l’écharpe annonçant son titre.
Pour ces instants-là, je n’aurais cédé ma place à personne. Je soupçonnais Pepa d’être jalouse de notre complicité. Dans son pays, les jeunes gens ne s’enfermaient pas sous la douche avec des dames âgées. Même pour rire. Elle me jugeait mal, les mots français lui manquaient mais les regards qu’elle me jetait, quand je regagnais ma chambre, où comme par hasard elle s’éternisait, traduisaient bien ses pensées.
Un jour, beaucoup plus tard, Pepa n’y tenant plus, m’a fait une confidence :
« Madame reçoit des hommes, l’après-midi, quand vous êtes au travail ! »
C’était une dénonciation que seul l’amour pouvait excuser ; Pepa avait dix-huit ans, et sans me vanter, elle m’aimait bien.
— Venez voir, me dit-elle.
Elle avait des preuves en plus, pour me persuader que j’étais trompé.
Sans ajouter de commentaire, sûre de son effet, elle m’a entraîné au fond du couloir, dans une pièce qui servait de buanderie, puis elle sortit d’un placard de la lingerie fine, des bas noirs et des porte-jarretelles roses, semblables à ceux que l’on trouve, pendus à un fil de nylon, dans la vitrine de certaines boutiques entre Pigalle et Blanche. Rien de très surprenant pour une reine de beauté !
J’ai dû quand même expliquer à Pepa que Mado était une femme de Paris, très élégante, une artiste, et qu’il ne fallait pas parler de ces choses dans le quartier.
Je l’ai embrassée sur les joues, en attendant une meilleure occasion pour aller plus loin et je lui ai promis de ne rien répéter à Madame.
Mado ne se doutait de rien. À l’étage en dessous, elle n’en finissait pas de trier avec passion des papiers de famille, des photos et des lettres, oubliant même d’aller chez le coiffeur faire décolorer ses cheveux.
Malgré cela, j’imaginais que les bas résilles lui allaient encore bien et je savais qu’elle recevait, sur rendez-vous, des messieurs pressés qui ne s’attardaient pas en bavardages inutiles.
J’aurais pu être jaloux, mais c’était une bonne solution. Quand on a été reine de beauté, il faut savoir entretenir d’anciennes relations. Mado Moreau avait un carnet d’adresses assez variées pour lui éviter la monotonie et les fins de mois difficiles.
Ce que je gagnais à « La Maison rose » ne me permettait que modestement de participer à l’entretien du pavillon. Il fallait bien trouver de l’argent quelque part pour faire réparer la véranda et payer les factures d’électricité.
C’est sans doute par discrétion que Mado ne me parlait pas de ces soucis de la vie quotidienne, qu’elle réglait en mon absence, me réservant des sujets de conversation plus plaisants. De quoi pouvais-je me plaindre ?
XVII
14 septembre 1961. Il y avait cinq ans, ce jour-là, mon père était mort. Accidentellement, si l’on s’en tient au rapport de gendarmerie. J’avais envie de pleurer, mais trop tard. Qui pensait à lui quelquefois ?
Son successeur à la sous-préfecture citait peut-être son nom à l’occasion d’un discours, saluant au passage l’homme intègre, au service de l’État, disparu avant d’avoir pu donner la mesure de son dévouement… Lucienne fleurissait sa tombe, elle n’avait pas le choix. En province, les cimetières sont très surveillés ; mais qui pouvait bien se souvenir d’heures éblouissantes
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