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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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exactement.
    — Tu lis trop de livres, garçon, tu finiras neurasthénique.
    J’avais lu Jean-Paul Sartre, Albert Camus, comme tout le monde, mais Mado se trompait, ils n’étaient pas comptables de mon angoisse.
    — Donne tes mains, je vais m’occuper de toi…
    D’une certaine manière, j’aimais obéir à Mado. Je ne résiste pas à l’assurance des femmes fatales. J’ai donc posé mes mains dans les siennes.
    Je trouvais que le vernis, même incolore, donne mauvais genre aux garçons. Elle m’a convaincu du contraire.
    Je me revois, tard dans la nuit, faisant sécher mes ongles en écoutant Mado se souvenir à haute voix.
    Elle avait habité là, autrefois, pendant la Première Guerre mondiale, quand il y avait des coquelicots alentour et des champs de blé qui s’étendaient jusqu’au fort de Montrouge. La table du jardin datait de cette époque. Elle avait vu son père planter le cerisier qui nous abritait. La véranda portait encore les traces d’un orage mémorable.
    Les souvenirs d’enfance se nourrissent de détails insignifiants que personne ne peut partager.
    Mado revenait de loin ici, après un long détour. C’est sûr, elle ferait réparer la véranda avant l’hiver.
    La rue de la Mutualité était devenue avenue Paul-Vaillant-Couturier ; l’histoire ne s’embarrasse pas de nos nostalgies.
    — Il était communiste, celui-là, mais il avait un beau nom.
    Mado avait changé le sien en quittant le quartier. On ne s’appelle pas Josiane Lampin dans le grand monde en 1925.
    Mado Moreau, ça fait plus d’effet sur une carte de visite.
    — Les initiales doubles, on dit que ça porte bonheur. Je n’ai jamais cru à ces trucs-là, mais ça faisait joli. Regarde, tu comprendras.
    Mado me tendit une brochure luxueuse, déjà ancienne, mais en bon état. Gravé à l’or fin on pouvait lire : Nuit tricolore au Casino Casin.
    Plus bas, en lettres moins grosses : Élection de Miss Alger 1934. Les premières pages vantaient des marques de parfums et de liqueurs, sur papier glacé.
    On trouvait toutes sortes de renseignements pratiques, des adresses de coiffeurs, de bijoutiers. Si je ne confonds pas, c’est bien dans ce programme de festivités que je suis tombé en arrêt sur une photo audacieuse pour l’époque : un manteau de fourrure, étalé au bord de la mer.
    — Les nuits sont fraîches à Alger, me dit Mado.
    J’avais encore beaucoup de choses à apprendre.
    Glissé au milieu de la brochure, il y avait le plan et les horaires de la soirée, barrés de bleu, blanc, rouge, ce qui donnait un caractère solennel à la manifestation.
    Je ne pourrais pas rapporter précisément le nom des musiciens, ni même ceux des membres du jury. Il y avait des généraux, des présidents de chambres de commerce et diverses personnalités connues dans la région.
    Ce qui m’intéressait figurait en bonne place : « Avec la présence, en invitée d’honneur, de Mado Moreau, lauréate 1933. »
    Vingt-sept ans plus tard, dans un jardin d’Arcueil, elle avait toujours de belles jambes. Reine de beauté à Alger ! Tout cela me paraissait si loin.
    Depuis quelques mois, cette ville était pour moi synonyme de guerre, et je découvrais qu’on s’y était amusé follement dans des casinos scintillants et que des femmes en robe du soir se laissaient offrir une coupe de champagne par des lieutenants français.
    Un monde à part dont les rires ont fini par agacer. La guerre avait peut-être commencé là. Qui sait ?
    Reine de beauté ! Je n’osais pas demander à Mado si c’était un vrai métier, ou le hasard qui l’avait entraînée à défiler en maillot de bain sur une estrade décorée de plantes vertes.
    Est-ce vraiment un bon début dans la vie ? Mado ne semblait pas le regretter.
    — Je te montrerai des photos et des journaux, me dit-elle. Je les classe en ce moment, c’est drôle, tu verras.
    Elle avait tout gardé. Les pièces à conviction s’entassaient partout dans le salon, dans sa chambre, au grenier. Il lui faudrait des milliers d’heures pour en venir à bout.
    Quels fils cherchait-elle à dénouer ?
    Nous buvions du whisky, noyé d’eau plate car il faisait chaud et nous avons parlé longtemps encore. Chaque pierre de ce pavillon, chaque objet de jardinage abandonné çà et là lui rappelait quelque chose. Elle avait pourtant voulu fuir cet endroit où elle se trouvait bien enfin.
    — Moi aussi, j’aurai un jour envie de revenir à Bellac ?
    — Eh oui,

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