Un Jour De Colère
survivra
quelques minutes. Il souffre beaucoup, bien qu’il ne se plaigne pas. Les coups
de baïonnettes dans le dos ont vidé ses poumons de leur sang, et tous
s’accordent pour penser que sa mort est inéluctable. Soigné d’abord dans le
parc par un médecin français, transporté ensuite chez le marquis de Mejorada,
un religieux – son nom est frère Andrés Cano – l’a confessé et absous, sans
avoir pu lui administrer l’extrême-onction car les saintes huiles sont
épuisées. Conduit enfin au 12 de la rue de la Ternera, toujours sur le brancard
improvisé avec une échelle du parc, le défenseur de Monteleón s’éteint dans sa
chambre, entouré de frère Andrés, de Manuel Almira et d’amis qui ont pu – ou
osé – accourir à cette heure : les capitaines d’artillerie Joaquín de
Osma, Vargas et César González, et le capitaine porte-drapeau des Gardes
wallonnes Javier Cabanes. Comme le frère Andrés manifeste son inquiétude que
Daoiz meure sans avoir reçu les saintes huiles, Cabanes va chercher un prêtre à
la paroisse de San Martín et revient avec le père Román García, qui apporte le
nécessaire. Mais avant que le nouveau venu ait le temps d’oindre le front et
les lèvres du moribond, Daoiz, qui serre étroitement la main du frère Andrés,
pousse un profond soupir et meurt. Agenouillé au pied du lit, le fidèle
secrétaire Almira pleure à chaudes larmes comme un enfant.
Une demi-heure plus tard, dans son
bureau de l’état-major supérieur de l’Artillerie, le colonel Navarro, à peine
informé de la mort de Luis Daoiz, dicte à un subalterne le mémoire justificatif
qu’il adresse au capitaine général de Madrid, pour que celui-ci le fasse suivre
à la Junte de Gouvernement et aux autorités militaires françaises :
Je suis fermement convaincu,
Votre Excellence, que loin de contribuer à ce qui vient de se passer, tous les
officiers du Corps ont ressenti comme un objet de suprême dégoût l’égarement et
les intérêts particuliers des capitaines Pedro Velarde et Luis Daoiz qui ont
permis à ces derniers de faire prévaloir une initiative erronée sans tenir
compte des autres officiers, qui n’ont eu à aucun moment la moindre idée que
ceux-ci pouvaient agir à l’encontre des consignes constamment données.
Le ton de ce rapport contraste avec
le style de ceux que ce même chef supérieur de l’Artillerie de Madrid rédigera
dans les jours suivants, à mesure que les événements se succéderont dans la
capitale et dans le reste de l’Espagne. Le tout dernier de ces documents, signé
par Navarro en avril 1814, la guerre terminée, s’achèvera par ces mots :
Le 2 mai 1808, les héros Daoiz et
Velarde ont conquis une gloire qui immortalisera leurs noms pour l’honneur de
leurs familles et celui de la nation entière.
Tandis que le directeur de
l’état-major de l’Artillerie rédige son rapport, à l’hôtel des Postes de la Puerta
del Sol se réunit la commission présidée par le général Grouchy, que le duc de
Berg a chargée de juger les insurgés pris les armes à la main. Pour la partie
espagnole, la Junte de Gouvernement a mandaté le général José de Sexti.
Emmanuel Grouchy – le même dont la négligence jouera un rôle fatal sept ans
plus tard à la bataille de Waterloo – est un homme qui s’y connaît en
répressions : il compte à son actif, inscrits en lettres noires sur son
curriculum vitae, l’incendie de Strevi et les exécutions du Piémont de l’année
1799. Quant à Sexti, dès le premier moment, il a décidé de s’abstenir en
laissant entre les mains des Français le sort des prisonniers qui arrivent
attachés, isolément ou par petits groupes, et que les juges n’écoutent ni ne
voient même pas. Constitués en tribunal sommaire, Grouchy et ses officiers
décident froidement, nom après nom, et signent des condamnations à mort que les
secrétaires rédigent à toute vitesse. Et pendant que les magistrats espagnols
qui ont parcouru les rues en clamant « Paix, paix, tout est arrangé »
rentrent chez eux convaincus que leur pauvre médiation a rendu la tranquillité
à Madrid, les Français, libres d’entraves, intensifient les arrestations, et la
tuerie se poursuit désormais sous le seul signe de la vengeance implacable.
Les premiers à faire les frais de
cette rigueur sont les prisonniers entreposés dans les caveaux de San Felipe,
auxquels on vient de joindre l’imprimeur Cosme Martínez del
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