Un Jour De Colère
dispersés à la Puerta del Sol se reforment
après chaque charge de cavalerie et, surgissant des terrasses et des arcades,
du cloître du Buen Suceso, de la Victoria, de San Felipe et des rues
adjacentes, se jettent de nouveau à découvert, navajas contre sabres,
escopettes contre canons, tant sur les dragons et les mamelouks qui continuent d’arriver
de San Jerónimo et font volte-face par la rue d’Alcalá, que sur les soldats de
la Garde impériale commandés par le colonel Friederichs, qui avancent depuis le
Palais par la Calle Mayor et la rue Arenal en balayant les rues de leur
mousqueterie et du feu des pièces de campagne mises en batterie à chaque
carrefour. Un des premiers blessés par ces décharges est le jeune León Ortega y
Villa, l’élève de Francisco de Goya, qui, pendant un moment, coupe les jarrets
des chevaux français. Et près des Conseils, après s’être replié avec ses
paroissiens de Fuencarral devant une charge de lanciers polonais, le prêtre don
Ignacio Pérez Hernández reçoit une volée de mitraille, fait quelques pas
vacillants et s’écroule. Malgré le feu nourri de l’ennemi, ses compagnons
réussissent à le tirer de là, bien que gravement atteint, et à le mettre à
couvert. Transporté plus tard, après beaucoup de péripéties, à l’Hôpital
général, don Ignacio s’en sortira.
Dans toute la ville se succèdent des
combats qui, parfois, se font individuels. Par exemple, celui que livre, tout
seul, en face de la résidence de la duchesse d’Osuna, le marchand de charbon
Fernando Girón : à un croisement de rues, il tombe sur un dragon français,
le désarçonne d’un coup de gourdin et, après l’avoir frappé à mort, s’empare de
son sabre avec lequel il affronte un peloton de grenadiers qui le tuent en le
perçant de leurs baïonnettes. Un Majorquin nommé Cristóbal Oliver, ancien
soldat des dragons du Roi au service du baron de Benifayó, sort de l’hôtellerie
de la rue Peligros où ils logent tous deux et, avec l’épée de cérémonie de son
maître pour seule arme, assaille tout Français qui passe à sa portée, en tue un
et en blesse deux : il casse sur le dernier la lame de son épée, dont
seule la poignée lui reste dans la main, et rentre tranquillement dans son
hôtellerie. Les relations des combats enregistreront plus tard dans le détail
les faits et gestes de quantités d’anonymes des deux sexes, comme cet homme
embusqué au coin de la rue de l’Olivo que les habitants de la rue du Carmen
voient de leurs fenêtres, en habit de chasse, guêtres de cuir et cartouchière
garnie, tirer l’un après l’autre dix-neuf coups sur les Français jusqu’à ce
que, ses munitions épuisées, il jette son fusil, sorte son couteau de chasse et
se défende, dos au mur, avant d’être abattu. On n’a jamais su non plus le nom
du postillon – connu seulement comme « l’Aragonais » – qui, au coin
de la rue de la Ternera, tire avec une escopette chargée de clous de tapissier,
à bout portant, sur tout Français qui passe dans la rue. Ni les noms des quatre
habitants des bas quartiers qui se battent avec leurs navajas contre des
Polonais dans la rue de la Bola. Ni celui de la femme encore jeune qui, à
Puerta Cerrada, fait tomber de son cheval à coups de pierres un éclaireur en
criant « Rends-toi, chien ! », avant de l’égorger avec son
propre sabre. De même, on ne connaîtra jamais le nom du grenadier de la Marine
désarmé – déserteur de la caserne ou du détachement de l’enseigne de frégate
Esquivel – qui, dans la rue Postas, met à l’abri un groupe de femmes et
d’enfants pourchassés par les Français, puis, tombant sur un dragon démonté,
l’étrangle à mains nues ; quoique, plus tard, dans la relation des pertes
de la journée, figureront les noms de trois soldats qui portaient cet
uniforme : Esteban Casales Riera, catalan, Antonio Durán, valencien, et
Juan Antonio Cebrián Ruiz, de Murcie.
On gardera en revanche un souvenir
précis des neuf maçons qui, au début des affrontements, travaillaient à la
réfection de l’église de Santiago : le contremaître de soixante-six ans
Miguel Castañeda Antelo, les frères Manuel et Fernando Madrid, Jacinto Candamo,
Domingo Méndez, José Amador, Manuel Rubio, Antonio Zambrano et José Reyes
Magro. Tous se battent dans la rue Luzón, pris entre la cavalerie française qui
arrive par la Puerta del Sol et l’infanterie qui avance par la Calle Mayor et
la rue
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