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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Arenal. Une demi-heure plus tôt, en voyant passer sous leurs
échafaudages un peloton de Polonais qui donnait la chasse à des habitants en
fuite, les maçons ont attaqué les cavaliers en lançant sur eux tout ce qu’ils
avaient sous la main, des tuiles jusqu’aux outils ; après quoi, ils sont
descendus, torse nu, ont ouvert les couteaux qu’ils portaient tous et se sont
jetés dans la bataille avec la rudesse naïve de leur métier. Maintenant,
acculés, pris de tous côtés sous le tir des fusils, ils doivent battre en
retraite pour se réfugier dans l’église. Le contremaître Castañeda vient de
recevoir une balle dans le ventre qui lui fait plier les genoux et se
recroqueviller sur la chaussée, d’où le relève le maçon Manuel Madrid.
Soutenant son camarade, Madrid voit que l’église est encore loin et tente de se
réfugier sur la place de la Villa ; la malchance veut qu’au passage d’un
carrefour une décharge retentisse, des balles claquent contre les murs
voisins : Madrid est indemne, mais le malheureux Castañeda a le bras
brisé. Ils chutent tous les deux et, tandis que les balles continuent de
siffler au-dessus de leurs têtes, Madrid traîne comme il peut son camarade en
le tirant par son bras valide pour le mettre à couvert.
    — Laisse-moi, mon vieux,
murmure faiblement le contremaître. Je suis trop lourd… Laisse-moi et cours…
Sauve-toi quand il est encore temps.
    — Pas question ! Même si
ces enfants de putains de mosiús me font la peau, je ne te lâcherai
pas !
    — Ça n’en vaut pas la peine…
J’ai mon compte.
    Un voisin du nom de Juan Corral, qui
observe la scène depuis un porche, s’approche en se courbant et, saisissant le
blessé par les pieds, aide à le mettre à l’abri. Et ainsi, portant Castañeda à
travers la ville pleine de Français, s’aventurant dans des rues désertes et
d’autres où l’ennemi tire de loin, Madrid et Corral parviennent à gagner son
domicile de la rue Jésus y María où on lui prodigue les premiers soins. Transporté
les jours suivants à l’Hôpital général, le contremaître vivra encore trois ans
avant de mourir des suites de ses blessures.
    Les autres maçons du chantier de
Santiago connaissent un sort plus immédiat et plus tragique. Réfugiés dans
l’église, ils se voient bientôt assaillis par un peloton de fusiliers qui
veulent venger leurs camarades polonais. Jacinto Candamo tente de résister et
poignarde un premier Français qui s’approche, après quoi il est massacré à
coups de crosses et laissé pour mort avec sept blessures. Fernando Madrid, José
Amador, Manuel Rubio, José Reyes, Antonio Zambrano et Domingo Méndez sont
ligotés et emmenés sous les coups et les insultes. Tous les six feront partie
des hommes exécutés le lendemain au petit matin sur la colline du Príncipe Pío.
    — Vive l’Espagne ! Vive le
roi ! Sus aux Français !
    À la porte de Tolède, sous les
jambes des chevaux et les sabres des cuirassiers français, la populace des bas
quartiers de Madrid combat furieusement, avec la férocité d’individus qui n’ont
rien à perdre, la haine insensée de ceux qui n’ont envie que de vengeance et de
sang. Dès que les premiers cavaliers sont passés sous l’arc et se sont heurtés
à la barricade, une foule d’hommes et de femmes a sauté sur eux, poitrine
découverte, à coups de gourdins, de couteaux, de pierres, de piques, de
ciseaux, d’aiguilles d’alfatiers et de tous les outils qui peuvent servir
d’armes, tandis que des toits, des fenêtres et des balcons voisins éclatait un
tir nourri de carabines et de fusils de chasse ou de guerre. Pris par surprise,
les premiers cuirassiers rompent leur formation, se bousculent, sabrent leurs
assaillants, essayent de reculer ou éperonnent leurs montures pour sauter les
obstacles ; mais la meute des civils vociférant tranche les rênes, poignarde
les chevaux, se hisse sur les croupes, désarçonne les cavaliers gênés par leurs
casques et leurs cuirasses d’acier, et une fois ceux-ci à terre, glisse ses
énormes navajas dans les jointures et les gorgerins.
    — Pas de pitié !… Ne
laissez pas un Français vivant !
    La tuerie s’étend au-delà de la
porte et de la barricade, à mesure que grossit le flot des cavaliers qui
piétinent la foule et tentent de se frayer un passage vers la rue Toledo. Vient
alors le tour des femmes postées aux fenêtres avec leurs chaudrons d’huile et
d’eau bouillantes qui font se

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