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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Daoiz tapote le papier qu’il a sorti de sous sa veste. – Tu
vois ?… « Interdiction de prendre des initiatives et de s’unir au
peuple. »
    — Les ordres sont dépassés, vu
la manière dont les choses ont tourné !
    — Les ordres sont toujours
valables ! – En haussant la voix, le petit Daoiz se hausse aussi sur la
pointe de ses bottes. – Y compris ceux que je donne ici !
    Velarde n’est pas convaincu, il ne
le sera jamais. Il se ronge les ongles, agite violemment la tête. Il rappelle à
son ami l’engagement qu’ils avaient pris de soulever les artilleurs.
    — Nous l’avons décidé il y a
quelques jours, Luis. Tu étais d’accord. Et la situation…
    — C’est devenu impossible à
exécuter, l’interrompt Daoiz.
    — On peut suivre notre plan.
    — Notre plan a fait long feu.
L’ordre du capitaine général nous désole, toi, moi et quelques autres, mais il
constitue une magnifique excuse pour les indécis et les couards. Nous ne
disposons pas d’une force suffisante pour nous soulever.
    Sans s’avouer vaincu, Velarde le
conduit à la fenêtre et lui montre les Volontaires de l’État qui fraternisent
avec les artilleurs.
    — Je t’ai amené presque
quarante soldats. Et tu sais que tous ces gens qui sont dehors attendent des
armes. Je vois aussi que tu as reçu le renfort de plusieurs camarades fidèles,
comme Juanito Cónsul, José Dalp et Pepe Córdoba. Si nous armons le peuple…
    — Accepte enfin la vérité, tête
de mule : on nous a laissés seuls, tu comprends ?… Nous avons perdu.
Il n’y a rien à faire.
    — Mais les gens se battent dans
Madrid.
    — Ça ne peut pas durer. Sans
les militaires, leur compte est bon. Et personne ne sortira des casernes.
    — Donnons l’exemple, et nous
serons suivis.
    — Ne dis pas de bêtises, mon
vieux.
    Laissant Velarde ruminer ses
arguments inutiles, Daoiz va dans la cour et se met à se promener seul, tête
nue, mains croisées dans le dos sur les pans de sa veste, conscient d’être la
cible de tous les regards. En dehors du parc, de l’autre côté de la porte fermée,
sous l’arc de briques et de fer, la foule continue de crier : « Mort
à la France et vive l’Espagne, le roi Ferdinand et les artilleurs ! »
Au-dessus des vociférations résonne, amorti par la distance, le crépitement de
la fusillade. Chacun de ces cris et de ces détonations déchire le cœur de Luis
Daoiz, qui vit le moment le plus amer de son existence.
    Tandis que le capitaine Daoiz se
débat avec sa conscience dans la cour du parc de Monteleón, au sud de la ville,
à l’extrême opposé, Joaquín Fernández de Córdoba, marquis de Malpica, et ses
volontaires civils sentent leur gorge devenir soudainement sèche en voyant
apparaître la cavalerie française qui monte vers la porte de Tolède. Plus tard,
quand on fera le bilan de cette journée, on saura que cette force impériale,
qui vient de ses cantonnements de Carabanchel sous le commandement du général
de brigade Rigaud, compte deux régiments de cuirassiers : neuf cent
vingt-six cavaliers qui, pour l’heure, remontent la côte au trot, entre les
rangées d’arbres qui descendent jusqu’au Manzanares, avec l’intention de se
diriger, par la rue Toledo, vers la place de la Cebada et la Plaza Mayor.
    — Mon Dieu, ayez pitié !
murmure le domestique Olmos.
    Sans guère d’espoir, le marquis de
Malpica examine les environs. Autour de l’accès à la porte de Tolède, par où
les Français doivent forcément passer pour entrer dans la ville, sont postés
quatre cents habitants des quartiers de San Francisco et de Lavapiés. C’est peu
de dire que, parmi eux, abondent les types populaires – vestes courtes brunes,
foulards à franges blanches et noires, pantalons délacés laissant les jambes à
l’air : ce sont pour la plupart des gens du peuple, hommes de basse
condition, ruffians à la navaja facile et femmes des rues mal famées voisines,
même si ne manquent pas non plus des habitants honorables de la Paloma et des
maisons proches, bouchers et corroyeurs du Rastro, domestiques, hommes et
femmes, des auberges et tavernes de cette partie de la ville. En dépit de ses
efforts pour installer, en militaire, une défense cohérente, et après de
nombreuses discussions et altercations peu amènes, le marquis de Malpica n’a
pas pu les empêcher de s’organiser eux-mêmes, par bandes et par affinités, de
sorte que chacun prend les dispositions qu’il juge

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