Un Jour De Colère
cabrer les chevaux et tomber les cavaliers
brûlés, dont les hurlements cessent quand des bandes de civils se précipitent
sur eux, les tuent et les mettent sauvagement en pièces. D’autres jettent des
pots de fleurs, des bouteilles et des meubles. Les balles des tireurs – le
dragon de Lusitanie et les Gardes wallonnes ont l’œil sûr – font des trous dans
les casques et les cuirasses, et chaque fois qu’un Français pique des éperons
et se lance au galop en direction de Puerta Cerrada, des voyous de bordel, des
filles de taverne, d’honnêtes mères de famille et de bons bourgeois, se
laissant piétiner par les sabots des chevaux et traîner par terre sans lâcher
la selle ou la courte queue de l’animal, unissent leurs efforts pour faire
tomber le cavalier, le frapper avec ce qu’ils ont en main, lui arracher sa
cuirasse et l’étriper. María Delgado Ramírez, âgée de quarante ans, mariée,
affronte un cavalier français avec une faucille et reçoit une balle qui lui
brise le fémur droit. Une balle traverse la bouche de María Gómez Carrasco, et
un coup de sabre tue Ana María Guttiérez, quarante-neuf ans, habitant La Ribera
de Curtidores. Près d’elle est blessé Maríano Córdova, âgé de vingt ans, natif
d’Arequipa au Pérou, un bagnard du pont de Toledo qui s’est échappé ce matin
pour rejoindre les combattants. María Ramos y Ramos, une femme du peuple de
vingt-six ans, célibataire, qui vit rue de l’Estudio, reçoit un coup de sabre
qui lui fend une épaule au moment où, une broche à rôtir à la main, elle essaye
de faire choir un cuirassier de son cheval. Près d’elle tombent l’aide-maçon
Antonio González López – un traîne-misère, marié, deux enfants –, le
charbonnier galicien Pedro Real González, José Meléndez Moteño et Manuel
García, deux hommes du peuple domiciliés rue de la Paloma. La poissonnière
Benita Sandoval Sánchez, vingt-huit ans, qui se bat au côté de son mari Juan
Gómez, crie « cochons de gabachos ! », s’agrippe à un
cheval et lui plante ses ciseaux à vider le poisson dans le col, faisant
s’écrouler monture et cavalier ; et avant que le Français ne puisse se
relever, elle le poignarde au visage et dans les yeux, se retournant ensuite
contre d’autres qui arrivent. Près d’elle, couteaux à la main et couverts de
sang français, luttent Miguel Cubas Saldaña, un charpentier de Lavapiés, et ses
amis le blanchisseur Manuel de la Oliva et le vitrier Francisco López Silva. Un
autre, le journalier Juan Patiño, se traîne au sol, les tripes à l’air, en
essayant d’esquiver les jambes des chevaux.
— Résistez !… Pour
l’Espagne et pour le roi Ferdinand !
Le marquis de Malpica, qui a
déchargé sa carabine et ses deux pistolets, empoigne sa machette, quitte l’abri
des arcades et se jette dans la mêlée, suivi de son serviteur Olmos et des gens
de sa troupe ; mais après quelques pas, il vacille, épouvanté. Rien, dans
son passé de militaire, ne l’avait préparé à un spectacle pareil. Des hommes et
des femmes, le visage ouvert par les coups de sabres, se retirent de la
bataille en titubant, les Français qui tombent crient et se débattent comme des
bêtes à l’abattoir et sont égorgés, et de nombreux chevaux éventrés par les
navajas errent sans cavalier en piétinant leurs entrailles. Un officier de
cuirassiers qui a perdu son casque dans la confusion se fraye un chemin à coups
de sabre en éperonnant sa monture, une lueur de démence dans les yeux. Le valet
Olmos, la femme à la hache de boucher et Cubas Saldaña se jettent sous les
jambes du cheval qui les traîne et les piétine, ce qui n’empêche pas Cubas de
planter sa lame dans le ventre du Français. Le cavalier s’effondre, vacillant
sur sa selle, et cela suffit pour qu’un des soldats des Gardes wallonnes – le
Polonais Lorenz Leleka – l’envoie au sol d’un coup de baïonnette, avant de
tomber lui-même, victime d’un coup de sabre sur la nuque. L’acier de la
cuirasse du Français résonne en touchant terre, et Malpica, obéissant
instinctivement à son sens de l’honneur militaire, lui met sa machette sous les
yeux en lui demandant de se rendre. L’autre, hébété, comprend le geste plus
qu’il n’entend ce qu’on lui dit, et fait signe que oui ; mais à cet
instant la femme s’approche par-derrière, en boitant et couverte de sang, et,
d’un coup de hache, fend le crâne du cuirassier jusqu’aux
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