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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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observent le mendiant d’un air
réprobateur : nez rouge d’ivrogne, culottes sales et vieux gilet sur une
chemise raide de crasse. Les doigts qui serrent le fusil luisant ont des ongles
cassés et noirs. Mais Velarde sourit avec naturel. En fin de compte, c’est
quand même un homme. Un fusil, une baïonnette et deux mains. Ce matin, on n’en
a pas de trop.
    — Il est encore tôt pour
prendre ce risque sans savoir par où viendra l’attaque, répond Velarde,
patient. Nous les sortirons quand nous saurons exactement dans quelle direction
les pointer.
    Fernández Villamil et ses hommes
regardent l’artilleur, éperdus d’enthousiasme. Tous montrent une confiance
aveugle.
    — D’autres militaires vont
venir, monsieur le capitaine ?
    — Naturellement, rétorque
Velarde, impassible. Dès que les tirs commenceront… Vous imaginez qu’ils vont
nous laisser combattre seuls ?
    — Non, bien sûr !… Comptez
sur nous, monsieur le capitaine !… Vive le roi Ferdinand ! Vive
l’Espagne !
    — Longue vie au roi et à
l’Espagne ! Et maintenant, à vos postes.
    En les regardant s’égailler, bombant
le torse comme une bande de gamins qui partent jouer à la guerre, Velarde se
sent légèrement gêné. Il sait qu’il les envoie sur une position exposée. Il
fait comme s’il ne voyait pas les regards que lui adressent les secrétaires
Rojo et Almira – tous deux savent qu’il n’y a rien à espérer du côté de l’armée
espagnole –, et il poursuit la répartition des hommes telle qu’elle a été
convenue avec Luis Daoiz.
    — Voyons maintenant : qui
commande ce groupe ?… C’est vous, Cosme, n’est-ce pas ?
    — Oui, mon capitaine, répond le
marchand de charbon Cosme de Mora, ravi que le militaire ait retenu son nom.
Pour vous servir, vous et la patrie.
    — Vous savez tous tenir un
fusil ?
    — Plus ou moins. Je suis
chasseur.
    — Ce n’est pas la même chose.
Ces deux messieurs vont vous enseigner les rudiments.
    Pendant que les secrétaires
expliquent à Mora et à ses hommes comment mordre rapidement la cartouche,
charger, bourrer, tirer et recharger, Velarde observe les hommes qu’il a sous
les yeux. Certains ne sont pas encore des adultes. Le plus petit le contemple,
impavide.
    — Et ce gosse ?
    — C’est notre frère, mon
capitaine, dit un jeune homme, accompagné d’un autre qui lui ressemble de façon
frappante. Il n’y a pas moyen de le convaincre de rentrer à la maison… On lui a
même tapé dessus, mais c’est inutile.
    — Ça sera dangereux pour lui.
Et votre mère va mourir d’inquiétude.
    — Mais qu’est-ce que vous
voulez qu’on fasse ? Il refuse de s’en aller.
    — Comment s’appelle-t-il ?
    — Pepillo Amador.
    Velarde décide d’oublier l’enfant,
des tâches plus urgentes l’attendent. Ce parti-là est le plus nombreux, et les
visages trahissent des sentiments divers : inquiétude, décision, trouble,
angoisse, espoir, courage… Ils affichent, eux aussi, leur adhésion naïve au
capitaine qu’ils ont devant eux, ou plutôt à son grade et à son uniforme. Le
mot « capitaine » sonne bien, il inspire une confiance élémentaire à
ces volontaires valeureux, simples, orphelins de leur roi et de leur
gouvernement, disposés à suivre celui qui les guidera. Tous ont laissé famille,
maison et travail, pour oser venir au parc poussés par la colère, le sens de
l’honneur, le patriotisme, le courage, la haine de l’arrogance française. D’ici
peu, pense Velarde, beaucoup seront peut-être morts. Et lui-même aussi, avec
eux. Cette pensée le rend songeur, silencieux, puis il s’aperçoit que tous le
regardent, en attendant la suite. Alors il se redresse et hausse le ton :
    — Quant au maniement de la
baïonnette et de l’arme blanche, je suis sûr que des hommes comme vous n’ont
besoin de personne pour le leur enseigner.
    Ce fier propos atteint son but. Les
visages se détendent, il y a quelques éclats de rire et des tapes dans le dos.
Plusieurs fanfaronnent en tâtant le manche de corne qui dépasse de leur large
ceinture : pour ce qui est des baïonnettes ou des navajas, on n’a qu’à
interroger les gabachos.
    — Ce que cette arme a de bon,
achève Velarde en portant à son tour la main à la poignée de son sabre, c’est
qu’elle ne manque jamais de munitions, pas besoin de brûler de la poudre… Et
aucun Français ne sait s’en servir comme les Espagnols !
    — Non, aucun ! !
    C’est une ovation

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