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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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ivres
de vengeance. Après avoir demandé de l’aide à l’étage du dessus, le
sous-officier agressé – il a maintenant la tête bandée, et la colère l’aveugle
– arrive avec un peloton de grenadiers, fait irruption dans les cuisines,
baïonnette au canon, et indique tous ceux qui se sont distingués dans la
bataille. Ils emmènent ainsi vers le fossé d’Atocha, pieds nus et en chemise,
Pérez del Valle, un autre garçon de cuisine et cinq infirmiers de chirurgie.
Dans une déclaration ultérieure sur les événements de la journée, un témoin
oculaire, le juge Pedro la Hera, attestera qu’« aucun n’est revenu à
l’hôpital et l’on n’a plus jamais rien su d’eux ».
    Le capitaine Luis Daoiz s’inquiète
de la défense du parc d’artillerie. La plupart des gens qui réclamaient des
fusils, une fois les portes ouvertes et les armes prises, se sont dispersés
dans la ville, prêts à se battre pour leur compte – beaucoup, peu familiers des
armes à feu, n’ont emporté que des sabres et des baïonnettes. Daoiz, le
capitaine Velarde et les autres officiers ont pu en retenir quelques-uns en les
persuadant qu’ils seront plus utiles sur place. Une vive discussion a opposé
dans la salle des drapeaux le froid orgueil de Daoiz et l’emportement passionné
de Velarde, ce dernier se disant sûr que, dès que les autres casernes sauraient
que Monteleón a décidé de se battre, les troupes espagnoles sortiraient dans la
rue.
    — À quoi cela servira-t-il de
nous battre ? demandait un de leurs camarades, le capitaine d’artillerie
José Córdoba. Nous sommes quatre pelés.
    — Parce que en donnant
l’exemple nous en encouragerons d’autres. – Telle a été la réponse optimiste de
Velarde. – Aucun militaire qui tient à son honneur ne restera les bras croisés
en nous laissant anéantir.
    — Tu crois ça ?
    — J’y engage ma vie. Ou plutôt
la nôtre.
    Daoiz le sceptique, toujours prudent
et lucide, doute que les choses se passeront ainsi. Il connaît l’état d’apathie
et de confusion qui règne dans l’armée, et aussi la lâcheté morale du haut
commandement. Il sait parfaitement – il le savait déjà en prenant la décision
de livrer les armes au peuple – qu’à l’heure du combat les occupants du parc se
battront seuls. Pour l’honneur, un point c’est tout. De plus, peu d’endroits
dans Madrid sont aussi mal adaptés à une défense efficace. Monteleón n’est pas
une caserne mais une construction civile ou, pire, un conglomérat de plusieurs
bâtiments, ancien palais des ducs de Monteleón cédé par Godoy à
l’Artillerie : cinq cent mille pieds carrés impossibles à défendre,
entourés d’une enceinte qui n’est même pas un mur, aussi haute que fragile,
formant un rectangle qui longe les Rondas – les boulevards qui font le tour de
la ville – dans sa partie arrière, suit la rue San Bernardo à l’ouest, les rues
San Andrés à l’est et San José au sud. L’étendue de l’enceinte, entourée de
maisons et de hauteurs qui la surplombent, sans autres positions pour observer
l’extérieur que quelques fenêtres au troisième étage du bâtiment principal –
celui-ci étant loin du mur de clôture, elles ne permettent de voir qu’un
morceau de la rue San José –, fait que seules des sentinelles placées dans les
maisons voisines ou dans la rue, à découvert, peuvent guetter d’éventuelles
forces ennemies. De plus, à l’exception des Volontaires de l’État et de
quelques artilleurs, les gens manquent de discipline et de formation militaire.
Pour ne rien arranger, à en croire ce que vient de rapporter le sergent Rosendo
de la Lastra, les canons ne disposent que de dix charges de poudre en
cartouches, et de vingt autres que l’on prépare en toute hâte ; et si l’on
est pourvu en abondance de balles de tous calibres, on n’a ni gargousses ni
boîtes de mitraille. Ce tableau étant ce qu’il est, Daoiz sait qu’une victoire
est impensable et que toute action ne peut viser qu’à retarder l’issue
inéluctable. Dès que l’attaque française aura commencé, le temps que tiendra Monteleón
dépendra du degré de désespoir de ses défenseurs.
    — Pardon, mon capitaine, dit le
lieutenant Arango. Les hommes sont répartis en escouades, selon vos ordres… Le
capitaine Velarde s’occupe maintenant de leur assigner leurs postes.
    — Ils sont combien ?
    — Un peu plus de deux cents
civils entre la rue et le parc, mais il y a

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