Un Jour De Colère
sont toujours à Puerta
Cerrada, sans parvenir à se dégager. L’artillerie impériale qui balaye la Plaza
Mayor, la place Santa Cruz et la place Antón Martín oblige les groupes de
Madrilènes à se disperser dans les rues avoisinantes à chaque décharge, mais
ils reviennent à l’attaque, tenaces, depuis les porches et les arcades. Sans
espoir de victoire, une bonne partie des gens sensés, découragés ou terrifiés,
s’enfuient ou tentent de rentrer chez eux. Mais il reste encore des Madrilènes
qui s’acharnent à disputer, à coups de fusils ou de navajas, chaque entrée de
maison et chaque coin de rue. Ceux qui se battent ainsi sont les désespérés qui
n’ont plus la possibilité de s’échapper, ceux qui n’ont rien à perdre, ceux qui
veulent venger des amis ou des parents, les gens des quartiers populaires,
prêts à tout, et ceux qui, hors de toute raison, veulent seulement faire payer
cher, œil pour œil et dent pour dent, les dévastations de cette journée.
— En avant ! On va les
faire payer, ces gabachos ! … Ils ne s’en tireront pas comme
ça !
Des deux côtés, le prix est
terrible. Il y a des morts dans toutes les rues du centre, à chaque porche, à
chaque carrefour. Le feu de l’artillerie, qui ne ménage pas la mitraille, a
éliminé des balcons et des fenêtres presque tous les tireurs espagnols, et des
décharges continuelles de fusiliers, chasseurs et grenadiers maintiennent
déserts les étages supérieurs, les toits et les terrasses. Des femmes périssent
ainsi, touchées au moment où, de chez elles, elles jetaient des pots de fleurs,
des vases et des meubles sur les Français. Parmi elles figurent Ángela
Villalpando, une Aragonaise de trente-six ans qui meurt dans la rue
Fuencarral ; dans la rue Toledo, les habitantes Catalina Calderón,
trente-sept ans, et María Antonia Monroy, quarante-huit ans ; dans la rue
Soldado, Teresa Rodríguez Palacios, une femme du peuple de trente-huit
ans ; et dans la rue Jacometrezo, la veuve Antonia Rodríguez Flórez. Pour
sa part, le commerçant Marías Álvarez, qui canarde au fusil de chasse du haut
d’un balcon de la rue Santa Ana, reçoit une balle dans la poitrine. Et, dans sa
maison de la rue Toledo, au coin du couvent de la Concepción Jerónima, d’où
elle lance des tuiles et des ustensiles de cuisine sur tous les Français qui
passent, Segunda López del Postigo a la cuisse gauche traversée par une balle.
Pourtant, beaucoup de ceux qui
meurent aujourd’hui, ou qui sont blessés aux fenêtres et aux balcons, n’ont
rien à voir avec la bataille, atteints parce qu’ils ont voulu regarder ce qui
se passait ou pendant qu’ils essayaient de se protéger des tirs. C’est ainsi
que, rue de l’Espejo, une même balle, perdue ou intentionnelle, tue la jeune
Catalina Casanova y Perrona – fille de l’alcade des Conseils de Castille don
Tomas de Casanova – et son petit frère Joselito ; et, au coin des rues de
la Rosa et Luzón, une autre décharge française ôte la vie, à la veille de ses
noces, à Catalina Pajares de Carnicero, âgée de seize ans, et blesse la bonne
de la maison Dionisia Arroyo. De nombreuses victimes pacifiques trouvent la
mort de la même façon, comme Escolástica López Martínez, trente-six ans,
originaire de Caracas ; l’aide-cuisinier José Pedrosa, trente ans, sur la
place de la Cebada ; Josefa Dolz de Castellar, dans la rue
Panaderos ; la veuve María Francesca de Partearroyo, sur la place du
Cordon. Et bien d’autres encore, parmi lesquelles les petits Esteban Castarera,
Marcelina Izquierdo, Clara Michel Cazervi et Luisa García Muñoz. Après avoir
déposé cette dernière, âgée de sept ans, dans les bras de sa mère et d’un
chirurgien, son père et l’aîné de ses frères, qui n’avaient pas participé
jusque-là aux événements de la journée, prennent un vieux sabre de famille, un
coutelas de chasseur et deux pistolets, et ils descendent dans la rue.
Les Français tirent dans le tas,
sans sommation. Dans la rue Tesoro, un détachement de la Garde impériale et un
canon placé au coin de la Bibliothèque royale font feu sur un groupe nombreux
où se trouvent mélangés des fuyards des combats, des voisins et des curieux.
Ils tuent Juan Antonio Álvarez, jardinier d’Aranjuez, et le septuagénaire
napolitain Lorenzo Daniel, professeur d’italien des infants de la famille
royale ; et ils blessent Domingo de Lama, porteur d’eau des cabinets de
toilette de la
Weitere Kostenlose Bücher