Un long chemin vers la liberte
: baaskap, littéralement la « maîtrise », mais il s ’ agissait d ’ un terme très chargé de sens qui représentait la suprématie blanche dans toute sa dureté. L ’ Eglise réformée hollandaise soutenait cette politique et fournissait ses fondements religieux à l ’ apartheid en faisant des Afrikaners le peuple élu de Dieu et des Noirs une espèce subordonnée. Dans la conception du monde des Afrikaners l ’ apartheid et l ’ Eglise marchaient main dans la main.
La victoire des nationalistes dans la guerre des Boers avait marqué le début du déclin de la domination des Afrikaners par les Anglais. Depuis, l ’ afrikaans était la seconde langue officielle à côté de l ’ anglais. Un slogan nationaliste résumait toute la mission des Afrikaners : « Eie volk, eie taal, eie land » (notre peuple, notre langue, notre pays). Dans la cosmologie déformée des Afrikaners, la victoire du Parti national était comme le voyage des Hébreux vers la Terre promise ; l ’ accomplissement de la parole de Dieu et la justification de leur conception selon laquelle l ’ Afrique du Sud devait être à jamais un pays d ’ hommes blancs.
La victoire fut un choc. L ’ United Party et le général Smuts avaient battu les nazis et ils allaient sans aucun doute triompher du Parti national. Le jour des élections, j ’ assistais à une réunion à Johannesburg avec Oliver et plusieurs autres. Nous avons à peine parlé de l ’ éventualité d ’ un gouvernement nationaliste parce que nous ne pensions pas qu ’ il y en aurait un. La réunion dura toute la nuit, nous sommes sortis à l ’ aube et nous avons vu un crieur de journaux qui vendait le Rand Daily Mail : les nationalistes avaient triomphé. J ’ ai été stupéfait et consterné, mais Oliver a eu une position plus réfléchie. « Ça me plaît, a-t-il dit. Ça me plaît. » Je n ’ arrivais pas à comprendre pourquoi. Il m ’ a expliqué : « Maintenant nous saurons exactement qui sont nos ennemis et où nous sommes. »
Le général Smuts lui-même se rendait compte des dangers de cette idéologie inflexible, en dénonçant l ’ apartheid comme « un concept fou, né des préjugés et de la peur ». A partir de la victoire des nationalistes aux élections, nous avons su que notre pays serait désormais un lieu de tension et de luttes. Pour la première fois dans l ’ histoire de l ’ Afrique du Sud, un parti exclusivement afrikaner dirigeait le gouvernement. « L ’ Afrique du Sud nous appartient de nouveau », déclara Malan dans son discours de victoire.
La même année, la Ligue de la jeunesse définit sa politique dans un document rédigé par Mda et publié par le comité directeur de la Ligue. C ’ était un cri de ralliement lancé à toute la jeunesse patriotique pour renverser la domination blanche. Nous rejetions la notion communiste selon laquelle les Africains étaient opprimés d ’ abord en tant que classe économique et non en tant que race, en ajoutant que nous avions besoin de créer un puissant mouvement de libération nationale sous la bannière du nationalisme africain et « dirigé par les Africains eux-mêmes ».
Nous préconisions la redistribution de la terre sur une base équitable ; l ’ abolition des barrières de couleur interdisant aux Africains d ’ exercer un travail qualifié ; et la nécessité d ’ un enseignement libre et obligatoire. Le document expliquait également les différences entre les deux théories rivales du nationalisme africain, la conception extrémiste, inspirée par Marcus Garvey, « l ’ Afrique aux Africains », et l ’ africanisme de la Ligue de la Jeunesse qui reconnaissait que l ’ Afrique du Sud était un pays multiracial.
Je sympathisais avec le courant ultra-révolutionnaire du nationalisme africain. J ’ étais en colère contre les Blancs, pas contre le racisme. Si je ne me sentais pas prêt à les jeter à la mer, j ’ aurais bien aimé les voir monter à bord de leurs bateaux à vapeur et quitter le pays de leur propre initiative. Il me semblait inutile de regarder vers les Européens pour avoir de l ’ inspiration ou de l ’ aide.
Marginalement, la Ligue de la jeunesse était mieux disposée à l ’ égard des Indiens et des métis, en affirmant que les Indiens étaient opprimés comme les Africains mais qu ’ ils avaient l ’ Inde, une mère patrie, et qu ’ ils pouvaient y retourner. Les métis étaient
Weitere Kostenlose Bücher