Un long chemin vers la liberte
était pas à l ’ origine et parce que je croyais que nous devions nous concentrer sur notre propre campagne.
A l ’ époque, Ahmed Kathrada n ’ avait que vingt et un ans et, comme tous les jeunes, il avait envie de se faire les muscles. C ’ était un membre clef du Congrès indien pour la jeunesse du Transvaal et j ’ avais appris qu ’ il était opposé à la grève du 1 er Mai. Un jour, alors que je descendais Commissioner Street, j ’ ai rencontré Kathrada, qui m ’ a accusé, moi et les jeunes de la Ligue, de ne pas vouloir travailler avec les Indiens et les métis. Sur le ton de la provocation, il m ’ a dit : « Tu es un responsable africain et je suis un jeune Indien. Mais je suis convaincu du soutien des masses africaines pour la grève et je te mets au défi de trouver un township africain pour organiser un meeting. Je suis sûr que les gens me soutiendront. » C ’ était une menace vide de sens mais cela m ’ a quand même mis en colère. Je me suis plaint lors d ’ une réunion conjointe du Comité de direction de l ’ ANC, du SAIC et du Parti communiste d ’ Afrique du Sud, mais Ismail Meer m ’ a rassuré en me disant : « Nelson, il est jeune et emporté, ne sois pas comme lui. » Je me suis senti un peu penaud et j ’ ai retiré ma plainte. Tout en n ’ étant pas d ’ accord avec Kathy, j ’ admirais son enthousiasme, et c ’ est un incident dont nous avons fini par rire.
La grève du 1 er Mai s ’ est déroulée sans le soutien de l ’ ANC. Par anticipation, le gouvernement a interdit tous les meetings et tous les rassemblements le jour du 1 er Mai. Plus des deux tiers des ouvriers africains sont restés chez eux pendant la journée de grève. Le soir, j ’ étais à Orlando West avec Walter, et nous regardions un rassemblement de la Journée de la liberté qui manifestait malgré l ’ interdiction du gouvernement. La lune brillait et tandis que nous observions les manifestants qui défilaient en bon ordre, nous avons aperçu un groupe de policiers postés de l ’ autre côté d ’ un ruisseau à environ cinq cents mètres. Ils ont dû nous voir parce que, brusquement, ils se sont mis à tirer dans notre direction. Nous avons plongé au sol et sommes restés là tandis que la police montée chargeait la foule, en frappant les gens avec des bâtons. Nous nous sommes réfugiés dans une infirmerie, d ’ où nous entendions les balles qui s ’ écrasaient sur les murs du bâtiment. Dix-huit Africains ont été tués et beaucoup d ’ autres blessés dans cette attaque aveugle et déclenchée sans provocation.
Malgré les manifestations et les critiques, la réponse des nationalistes a été de resserrer les vis de la répression. Quelques semaines plus tard, le gouvernement a fait voter la célèbre loi sur l ’ interdiction du communisme (Suppression of Communism Act) et l ’ ANC a convoqué immédiatement une conférence à Johannesburg. La loi interdisait le Parti communiste sud-africain et y appartenir ou poursuivre les objectifs du communisme devenait un crime passible d ’ un maximum de dix années d ’ emprisonnement. Mais le texte de loi était rédigé d ’ une façon si large qu ’ il interdisait la moindre protestation contre l ’ Etat, considérant comme un crime la défense de toute doctrine qui soutiendrait tout « changement politique, industriel, social ou économique à l ’ intérieur de l ’ Union en incitant aux troubles et au désordre ». La loi permettait essentiellement au gouvernement d ’ interdire toute organisation et d ’ arrêter toutes personnes opposées à sa politique.
L ’ ANC, le SAIC et l ’ APO se sont à nouveau rencontrés pour discuter de ces mesures et le Dr. Dadoo, parmi d ’ autres, a dit que ce serait de la folie de laisser les différences du passé empêcher un front uni contre le gouvernement. J ’ ai pris la parole pour faire écho à son sentiment : il était évident que la répression contre un groupe de libération frappait tous les groupes de libération. C ’ est à cette réunion qu ’ Oliver prononça ces paroles prophétiques : « Aujourd ’ hui le Parti communiste. Demain, ce sera le tour de nos syndicats, de notre Congrès indien, de notre APO, de notre ANC. »
Soutenu par le SAIC et l ’ APO, l ’ ANC a décidé d ’ organiser une journée nationale de protestation, le 26 juin, contre l ’ assassinat de dix-huit Africains le 1 er Mai et contre le vote de la loi
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