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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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quand vous aurez lu cette
lettre. Réfléchissez bien, Matti. Je sais votre
opiniâtreté. Laissez passer les jours, les heurts, les
rancœurs, tout. Laissez la vie fermer vos blessures. Vos
fiançailles, voyez-vous, ont duré si longtemps qu'elles
peuvent bien durer encore un peu.
    Je
vous joins les quelques mots que Juliette Desrochelles a voulu vous
écrire. Vous en reconnaîtrez l'écriture. Vous
aviez raison : c'est elle, bouleversée de lire votre
annonce, sur une feuille de journal enveloppant la laitue qu'elle
venait d'acheter, qui vous a écrit cette lettre anonyme, dans
le naïf espoir de vous décourager, qui est allée
la poster, pour brouiller les pistes, à Melun.
    Je
le sais, Matti, rien ni personne ne vous a jamais arrêtée,
rien ni personne ne le pourra tant que vous serez vivante. Je vais
néanmoins, pour vous convaincre, s'il en est besoin, vous dire
une chose étrange et très belle. À
Cambo-les-Bains, en 1918, où il était en convalescence,
où Juliette Desrochelles était venue s'installer dans
une pension de famille pour être près de lui, Manech a
commencé de s'intéresser à la peinture. J'ai vu
ses toiles, dans la petite maison où je vous emmènerai
cet après-midi. Tout ce que je puis vous en dire, c'est
qu'elles sont d'une abstraction totale, des explosions de couleurs,
mais qu'elles sont une merveille, elles crient toutes ces choses,
terribles et démontées comme la mer de novembre, qu'on
voit au fond de ses yeux.
    Vous
verrez. Vous connaîtrez un rude rival, Matti. Encore que je
reste, vous le savez, votre admirateur le plus acharné, le
plus fidèle et le plus aimant.
    Réfléchissez
bien. À tout à l'heure.
    Germain
Pire.

    Ce
que Juliette Desrochelles a écrit à Mathilde, de la
même écriture, avec la même concision et sur le
même papier rosâtre que la lettre de Melun, c'est juste
ce qu'il faut pour qu'elle ne puisse plus, à nouveau,
s'empêcher de goûter le salé des larmes :
    Ne
me le prenez pas, je vous en supplie, ne me le prenez pas. On en
mourrait tous les deux.
    À
midi, quand Mathieu Donnay rentre déjeuner, Mathilde lui fait
lire la lettre de Germain Pire, le mot qui l'accompagne. Il dit
seulement, comme Parle-Mal dans la tranchée : “
Putain de vie ! ”
    Elle
lui demande s'il serait contre le fait, au vu des événements,
qu'elle ait besoin d'habiter quelque part près de
Milly-la-Forêt, de lui trouver une maison à louer ou à
vendre, et quelqu'un pour s'occuper d'elle, d'heureux caractère
de préférence, parce que Sylvain devra rester à
Hossegor, il serait inhumain de séparer Bénédicte
d'un si bel homme.
    Son
père répond ce qu'elle attend : qu'il la connaît
mieux que personne, en tout cas par le cœur, qu'il sait très
bien que si elle a une idée dans la tête et que
quelqu'un n'est pas content, ce quelqu'un n'aura rien d'autre.
    L'après-midi,
dans ce que Mathilde appellera plus tard l’Expédition de
Milly ; le soleil et le ciel est toute la
nature sont avec elle. En vraie femme, elle s'est parée du
mieux qu'elle a pu, en blanc pour faire fraîche, un peu de
rouge aux lèvres pour la circonstance, les sourcils faits, les
dents éclatantes, mais surtout pas de noir pour allonger les
cils, elle sait ce que ça donne quand on craque. Elle est dans
la Delage avec Sylvain et sa trottinette qui prend beaucoup de place.
Papa suit dans une autre auto dont elle ne se souvient plus la
marque, avec Germain Pire et Fend-la-Bise est au volant.
    Sur
la place de Milly-la-Forêt, il y a une grande halle en bois du
temps de Jeanne d'Arc, ou peut-être même de sa
grand-mère, elle fait arrêter Sylvain. À son
père, qui vient à la portière, elle dit qu'elle
veut aller seule à la maison des Desrochelles, qu'elle voit
une belle auberge, sur cette place, qu'on y retienne déjà
une chambre pour elle et Sylvain, et qu'elle voit aussi, de l'autre
côté de cette place, l'enseigne d'un marchand de biens,
on gagnerait du temps d'aller voir. Elle serre très fort la
main de son père. Il dit : “Sois sage", comme autrefois, hier ou avant-hier, quand
elle était petite.
    La
maison de Juliette Desrochelles est sous les arbres, sur une colline,
tout près de là, de pierres grises, au toit de tuiles
plates, avec un petit jardin devant, un plus grand derrière.
Il y a beaucoup de fleurs.
    Quand
Mathilde est dans la maison, assise dans sa trottinette, qu'on en a
fini des supplications, des larmes et des bêtises, elle demande
à Juliette Desrochelles, sa

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