Un mois en Afrique
nos soldats avaient su tirer un très bon parti du tronc des palmiers, et ils n'avaient presque pas eu de terre à remuer, si ce n'est pour les deux cheminements de droite et de gauche. Des troupes occupaient les jardins jusqu'à la lisière de l'oasis, et assuraient les flancs, les derrières, et les communications avec le camp.
Deux batteries de canons de 8 et d'obusiers de montagne étaient établies au centre et à la droite de la tranchée.
La première portait le nom du colonel Petit, en l'honneur de cet officier supérieur qui y avait été mortellement atteint ; la seconde s'appelait la batterie Besse, en mémoire d'un vaillant capitaine d'artillerie, tué raide d'une balle au front, au moment où il pointait une pièce.
Après avoir fait, avec le colonel, la visité de nos lignes, et fourni notre contingent de travailleurs aux armes spéciales, j'essayai de tirer quelques balles par les créneaux. Ceux des Arabes étaient si petits qu'il fallait beaucoup de soins et quelque adresse pour les emboucher, mais on ne pouvait voir le résultat des coups. Aucun ennemi ne se montrait à découvert ; tout ce qu'on apercevait entre la place et la tranchée se réduisait à quelques débris de murailles battues en brêche par notre artillerie, et aux cadavres des nôtres qu'on n'avait pu enlever, et qui infectaient l'air. Près de la sape de gauche, on voyait les ruines d'une tour qui s'était écroulée, le 20 octobre, sur les grenadiers de la Légion ; un grand nombre de ces braves avaient péri sous les décombres, et j'en remarquai un, homme magnifique, dont le corps nu, enflé, noirci, était écrasé sous un énorme madrier.
Parfois, les projectiles des assiégés embouchaient nos créneaux, écrêtaient le mur ou arrivaient aux points qui n'étaient pas bien défilés. Il est certain que l'ennemi avait d'habiles tireurs, particulièrement les domestiques noirs, que les chefs emploient à la chasse des autruches. Nos soldats les avaient entrevus visant nos officiers, et, avec cette vivacité d'imagination qui les caractérise, ils en avaient fait un être idéal et unique, qui, sous le nom du Nègro, était censé avoir porté les plus mauvais coups.
Indépendamment du feu des batteries, nous lancions d'heure en heure une bombe de seize centimètres.
Nous n'avions qu'un mortier, et le défaut de projectiles nous empêchait de l'employer plus souvent. On n'aura pas de peine à comprendre qu'un tir aussi rare ne pouvait être efficace. Il nous aurait fallu, d'ailleurs, des bombes de vingt-deux centimètres, et non de seize ; celles-ci portaient admirablement, mais, de l'avis de chacun, leur pénétration était insuffisante. Quant aux canons, par une circonstance locale, ils ne produisaient pas non plus tout l'effet désirable. Les maisons de Zaatcha avaient toutes des rez-de-chaussée au-dessous du niveau du sol, qui n'étaient qu'une espèce de caves où les boulets ne pouvaient atteindre ; les étages supérieurs ruinés, les habitants se réfugiaient dans ces souterrains, et la résistance continuait de plus belle.
Malgré le courage et l'activité du génie, les deux sapes à droite et à gauche cheminaient très lentement. On s'était vu contraint d'en faire les épaulements en sacs à terre, et de les blinder, tant bien que mal, avec des branchages de palmier, pour mettre les hommes à l'abri des pierres que les Arabes ne cessaient d'y lancer. La tête de sape était continuellement en butte à leur fusillade, et les sapeurs qui se montraient à découvert étaient aussitôt tués ou blessés. Une espèce de mantelet en planches et en tôle, qu'ils poussaient devant eux en guise de gabion farci, ne se trouva pas à l'épreuve des balles, ce qui était d'autant plus fâcheux qu'on n'avait ni cuirasses, ni pots-en-tête. Mais aussi qui eût pu croire qu'un misérable village du Sahara nous obligerait à l'assiéger de la sorte ?
Vers le soir, le général vint faire la visite de la tranchée et donner des ordres pour la nuit. Il est bienveillant, ferme et sympathique ; officier sous l'empire, il fut blessé à Waterloo.
J'observai qu'il s'exposait beaucoup et sans ostentation. A sa suite, comme porte-fanion de l'état-major-général, se trouvait le fameux tueur de lions, Gérard, maréchal-des-logis aux spahis, aujourd'hui sous-lieutenant. Je causai quelque temps avec cet intrépide chasseur, qui est de plus un excellent soldat. C'est à l'affût, à la chute du jour, et souvent à nuit close, qu'il
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