Un mois en Afrique
troupes, dans l'espoir que les soldats sortiraient pour les prendre, et tomberaient dans l'embuscade qu'on leur avaient dressée. Nos gens se contentèrent de tuer les bourriquets par les créneaux, et les Arabes en furent pour leurs frais.
Un autre stratagème dont les cavaliers du Scheik-el-Arab, qui était au camp, nous menacèrent, mais qui ne fut pas employé, leur réussit, à ce qu'ils prétendent, dans leurs guerres intestines, et il est trop curieux pour ne pas être rapporté. Il consiste à enduire de goudron, auquel on met le feu, des dromadaires qu'on chasse alors sur la tribu hostile ; une espèce de rage s'empare de ces animaux, ils ruent, ils mordent, ils portent le désordre dans les rangs de l'ennemi, mais surtout, je pense, dans ses troupeaux.
Quant aux Zaatcha, j'ignore s'ils étaient assez lettrés pour avoir pensé que nous aurions, au moins, aussi bon marché de leurs dromadaires enflammés que les Romains des éléphants de Pyrrhus à Bénévent ; le fait est que malgré les pronostics des cavaliers de Ben-Gannah, ils ne tentèrent pas l'aventure.
Peut-être ces détails paraîtront puérils, mais ils aideront à prouver que les assiégés ne négligeaient rien, et que leur défense, suivant l'expression de M. le général Charon, était intelligente et énergique.
L'alerte passée, nous retournâmes, le colonel et moi, à sa gourbie, mais à peine avions-nous fermé l'oeil, que de nouvelles fusillades réclamaient notre présence aux sapes menacées. Ce manège continua toute la nuit, et notamment mon excellent adjudant sous-officier, Trentinian, n'eut pas une minute de repos.
Le 25 octobre au matin, le général vint à la tranchée, et ordonna à mon colonel de m'envoyer avec 400 hommes, dont 200 de mon régiment, et 200 du 3e bataillon d'infanterie légère d'Afrique, couper des palmiers près du village de Lichana, que les contingents ennemis occupaient en force. Cette mesure d'abattre les palmiers était nécessaire et bien entendue, quoi qu'en aient dit certains critiques en gants jaunes, qui s'arrogent le droit de juger, au coin de leur feu, à Paris, les opérations d'une guerre réputée très difficile par les hommes les plus compétents. Il s'agissait non-seulement de faire des éclaircies pour faciliter l'investissement, mais aussi de ruiner l'ennemi et de fomenter ainsi, à notre profit, des récriminations et des discordes entre les diverses fractions de la population de l'oasis. En effet, les gens de Lichana, par exemple, ne manquèrent pas d'imputer à la résistance de Zaatcha la dévastation des plantations, leur principale ressource, et j'ai appris depuis que, comme on l'avait prévu, ils en furent touchés au vif, et que, malgré leur fanatisme, leur solidarité s'en trouva ébranlée.
On n'avait pu faire de lever du terrain. Le général nous indiqua, comme point de direction, un bouquet de palmiers à l'horizon, et je m'y portai, au pas de course, avec une compagnie d'infanterie légère d'Afrique. Suivaient les hommes de la Légion, et les travailleurs des deux corps avec des haches. J'étais prévenu que, sur la lisière de la forêt, M. le colonel de Barral appuierait le mouvement.
Après avoir escaladé plusieurs clôtures de jardins en terre sèche, longé et traversé dans l'eau un fossé large et peu profond, nous établîmes notre ligne de tirailleurs, le centre à environ trois cents mètres de la plaine, contre un mur crénelé par les Arabes, et dans un petit jardin encaissé et très propre à la défensive. Entre le mur et le jardin, et au niveau du premier, il y avait un terrain nu d'environ vingt mètres de large, où notre ligne formait un angle saillant. Je plaçai en réserve, à portée de couvrir ce point, un petit détachement de mes grenadiers, aux ordres de leur capitaine, M. Nyko, réfugié polonais, parent de l'infortuné comte Dunin, tué à Boulogne à côté de mon cousin. Cet officier avait déjà été dangereusement blessé devant Zaatcha, lors de l'expédition du mois de juillet dernier.
Le colonel, sans escorte et sans armes, avec cette intrépidité vraiment corse qui le caractérise, vint voir nos dispositions, et je crus comprendre qu'il les approuvait, à la manière flatteuse dont il répondit à l'assurance que je lui donnai, que le diable lui-même ne nous délogerait pas de là. Je prie le lecteur de remarquer que ce n'était pas une rodomontade, et que je tins la position jusqu'à ce que le général m'eut envoyé l'ordre
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