Un Monde Sans Fin
fouet ?
Cette perspective ne semblait pas effrayer Caris. Merthin ne
voulut pas lui donner l’impression d’être un timoré. De surcroît, la façon dont
il s’était fait exclure de l’exercice de tir avait piqué son orgueil :
défier l’autorité n’était pas pour lui déplaire. Le tout, c’était de ne pas se
faire attraper.
Caris le rassura. « Je connais un endroit »,
affirma-t-elle et elle partit vers la rivière. Merthin et Ralph lui emboîtèrent
le pas. Un petit chien à trois pattes se mit à les suivre.
« C’est ton chien ? demanda Merthin. Comment
s’appelle t-il ?
— Je ne sais pas. Je lui ai juste donné un morceau de
lard.
Depuis, je ne peux plus m’en défaire. »
Ils longèrent la rive boueuse, dépassèrent les entrepôts,
les quais et les péniches. Tout en marchant, Merthin étudiait discrètement
cette Caris qui s’était instituée leur chef avec tant de facilité. Son visage
carré et déterminé n’était ni beau ni laid, mais ses yeux pétillaient de
malice. Des yeux verts mouchetés de paillettes mordorées, nota-t-il. Ses cheveux
châtain clair étaient séparés en deux nattes comme le voulait la mode chez les
dames fortunées. Elle portait des vêtements coûteux et des bottes de cuir
pratiques. Non pas de ces souliers en tissu brodé qui avaient la faveur des
dames de la noblesse.
S’éloignant de la rivière, elle leur fit traverser une
scierie. Brusquement ils se retrouvèrent parmi les arbres et les taillis. À
l’idée qu’un dangereux hors-la-loi pouvait se dissimuler derrière n’importe
lequel des gros chênes alentour, Merthin n’en menait pas large et il regrettait
sa bravade. Seule la honte le retenait de faire demi-tour.
Ils s’enfoncèrent plus encore dans les bois, cherchant une
clairière assez dégagée pour essayer l’arc. Soudain Caris déclara sur un ton de
conspiratrice : « Tu vois ce grand buisson de houx ?
— Oui.
— Dès que nous l’aurons dépassé, accroupis-toi et ne
fais aucun bruit.
— Pourquoi ?
— Tu verras. »
L’instant d’après, Merthin, Ralph et Caris étaient tapis
derrière le buisson. Le chien à trois pattes, allongé près d’eux, regardait
Caris avec des yeux brillants d’espoir. Ralph voulut poser une question, Caris
le fit taire aussitôt.
Une minute plus tard, une petite fille arriva. Caris bondit
sur elle. La petite fille cria.
« Silence ! lui intima Caris. Nous sommes tout
près de la route et nous ne voulons pas être entendus. Pourquoi nous
suivais-tu ?
— Tu m’as pris mon chien, et maintenant, il ne veut
plus venir avec moi ! pleurnicha la petite fille.
— Mais je te reconnais ! Tu étais à la cathédrale
ce matin ! s’écria Caris, radoucie. Sèche tes larmes, ça ne sert à rien de
pleurer. On ne va pas te faire de mal. Comment t’appelles-tu ?
— Gwenda.
— Et ton chien ?
— Hop. » Gwenda prit son chien dans ses bras. Le
cabot lécha ses larmes.
« Eh bien, voilà ! Tu l’as retrouvé. Tu ferais mieux
de nous accompagner si tu ne veux pas qu’il s’enfuie encore. Surtout que tu
risques de ne pas retrouver ton chemin, toute seule ! »
Ils reprirent leur marche. « Qu’est-ce qui a huit bras
et onze jambes ? » lança Merthin après un moment.
Ralph donna aussitôt sa langue au chat, selon son habitude.
« Moi, je sais ! répondit Caris en souriant. C’est
nous : quatre enfants et le chien... Pas mal », ajouta-t-elle en
riant.
Merthin fut heureux de voir sa blague comprise. C’était
rare, et plus rare encore qu’une fille apprécie ses plaisanteries. Deux filles
même, car Gwenda expliquait à Ralph : « Deux bras, plus deux bras,
plus deux bras, plus deux, ça fait huit. Et deux jambes...»
La forêt était déserte, il n’y avait pas une âme à
l’horizon. Parfait ! Les quelques personnes qui avaient d’honnêtes raisons
de s’y trouver – comme les scieurs de long, les charbonniers ou les fondeurs de
fer – ne travaillaient pas aujourd’hui. Et il aurait été étonnant que des
nobles s’adonnent à la chasse un dimanche. Les seuls individus sur lesquels ils
étaient susceptibles de tomber étaient ces gens bannis de la société, mais ils
avaient peu de chances d’en rencontrer un dans cette forêt immense qui
s’étendait sur des milles et des milles. Une forêt si vaste, d’ailleurs, que
Merthin n’en avait jamais vu le bout.
Enfin, ils parvinrent à une trouée dans les taillis.
« Ça
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