Un Monde Sans Fin
indubitablement. Merthin en éprouva une jalousie qu’il n’aurait pas
admise même sous la torture. Lui qui souhaitait ardemment devenir un chevalier
sans peur et sans reproche et se battre pour le roi, comme son père, il était
désespéré de se découvrir aussi peu doué pour l’une des activités de base de
tout écuyer.
Ralph ramassa une pierre et, d’un bon coup sur la tête du
lièvre, mit fin à ses misères.
Merthin alla rejoindre les deux petites filles. Hop ne
respirait plus. Caris retira délicatement la flèche de son cou et la remit à
Merthin. Le sang ne jaillit pas de la blessure : le chien était bel et
bien mort.
Pendant un instant, personne ne dit mot. Et, soudain, un cri
déchira le silence.
Merthin sauta sur ses pieds, le cœur battant à tout rompre.
Un second cri retentit, poussé par une voix différente. Il y avait là deux
personnes au moins. Deux personnes qui se battaient, manifestement, à en croire
leurs hurlements furieux. La terreur s’empara de Merthin et de ses compagnons
figés sur place. D’autres bruits leur parvenaient, facilement identifiables.
C’étaient ceux d’une course effrénée dans les bois : branches brisées,
rameaux écartés, feuilles mortes piétinées. Et ce vacarme se dirigeait droit
sur eux !
Caris fut la première à reprendre ses esprits. « Dans
ce buisson, vite ! » s’écria-t-elle en désignant un groupe d’arbustes
à feuillage persistant. Là où le lièvre devait avoir eu son gîte, pensa
Merthin. Caris, qui s’était jetée à plat ventre, rampait déjà au plus profond
du fourré, suivie de Gwenda tenant son chien mort dans ses bras. Attrapant son
lièvre, Ralph les rejoignit. Merthin s’agenouillait à son tour quand il aperçut
la flèche restée fichée dans le tronc. Mon Dieu, elle allait révéler leur
présence ! Il fonça l’arracher. Revenu en courant, il n’eut que le temps
de plonger au cœur du buisson.
Des halètements essoufflés se rapprochaient, entrecoupés de
longues goulées d’air et de hoquets. Celui qui courait vers eux était
assurément à bout de forces. « Par ici ! » criait une voix qui
devait être celle d’un de ses poursuivants. Merthin s’alarma. Si la route était
tout près, comme l’avait dit Caris, le fuyard devait être un voyageur attaqué
par des bandits.
Quelques secondes plus tard, l’homme en question déboulait
dans la clairière. C’était un chevalier, à en juger d’après son épée et le long
poignard pendu à sa ceinture. Il trébucha et s’écroula. Roulant sur lui-même,
il parvint à se remettre debout. Adossé à l’arbre, il dégaina ses armes tout en
s’efforçant de reprendre son souffle. Âgé d’une vingtaine d’années à peine, il
était vêtu d’une solide tunique de voyage en cuir et de hautes bottes aux
montants rabattus.
Merthin jeta un bref regard à ses amis. Caris, blanche de
peur, se mordait la lèvre. Gwenda étreignait le cadavre de son chien comme si
cela pouvait la rassurer. Ralph semblait effrayé, lui aussi, mais pas au point
d’oublier son lièvre dont il s’acharnait à retirer la flèche plantée dans le
râble afin de pouvoir le fourrer dans le devant de sa tunique qui lui tiendrait
lieu de gibecière.
Le chevalier resta un moment les yeux fixés sur le buisson.
Merthin pensa avec épouvante qu’il avait dû les voir se cacher. Ou, tout du
moins, avoir remarqué les branches cassées et les feuilles écrasées à l’endroit
où ils s’étaient faufilés à l’intérieur du taillis. Du coin de l’œil, Merthin
surprit son frère posant une flèche sur la corde de son arc.
Sur ces entrefaites, les poursuivants débouchèrent dans la
clairière à leur tour, l’épée brandie. C’étaient deux hommes d’armes, costauds
et hargneux. Ils portaient une culotte bicolore, jaune à gauche et verte à
droite, couleurs identifiables entre toutes puisque c’étaient celles de la
reine. L’un portait un surtout en mauvaise laine brune, l’autre une cape noire
maculée de terre. Les trois hommes reprenaient leur souffle. Le chevalier n’en
réchapperait pas.
À cette pensée, Merthin fut sur le point d’éclater en
sanglots, faiblesse honteuse qu’il parvint à juguler. Et voilà que le chevalier
retourna son épée pour l’offrir à ses poursuivants, la poignée tournée vers
eux, signe de sa reddition.
Le plus âgé, celui à la cape noire, fit un pas en avant et
tendit la main gauche avec méfiance. S’étant emparé
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