Un Monde Sans Fin
ira », estima Merthin.
Un chêne au tronc épais se dressait devant eux à une
cinquantaine de pieds de distance. Imitant les archers, Merthin se plaça de
côté par rapport à sa cible et introduisit la corde dans les encoches. Puis il
sortit l’une de ses trois flèches. Leur fabrication lui avait demandé autant de
travail que celle de l’arc. Elles étaient en frêne et agrémentées de plumes
d’oie. N’ayant pas réussi à mettre la main sur un morceau de fer, il s’était
contenté d’effiler le bois en pointe et de le sécher au feu pour le durcir. Il
posa les yeux sur sa cible puis tira sur la corde. Le mouvement exigea de lui
un effort important.
La flèche atterrit très en avant du tronc. Hop s’élança à
cloche-patte pour aller la chercher.
La déception de Merthin était grande. Il s’était attendu
qu’elle déchire les airs et s’enfonce dans l’écorce. Malheureusement, il se
rendait compte à retardement qu’il n’avait pas assez bandé son arc.
Étant doté de cette qualité particulière de n’être ni
droitier ni gaucher, il le fit passer dans son autre main. Pour cette deuxième
flèche, il veilla à tirer de toutes ses forces sur la corde, de manière à
courber l’arc au maximum. L’arc se plia davantage. La flèche, cette fois,
atteignit presque l’arbre.
Pour son troisième essai, il décida de viser en l’air dans
l’espoir que le projectile viendrait se ficher dans le tronc après avoir décrit
une parabole. Hélas, il se pencha trop en arrière. À son grand dam, la flèche,
qui avait disparu au cœur des branchages, retomba au sol dans une pluie de
feuilles desséchées. Le tir à l’arc était un art bien plus ardu qu’il n’y
paraissait au premier abord. En soi, son œuvre ne semblait pas laisser à
désirer, à l’inverse de ses propres talents, osons le dire !
Par bonheur, Caris ne prêta pas plus d’attention que
précédemment à sa déconfiture. « Tu me le prêtes, pour voir ? lui
demanda-t-elle.
— Ce n’est pas un joujou pour les filles ! »
intervint Ralph et il s’empara de l’arc avec autorité. S’étant placé en biais
par rapport à la cible, comme Merthin avant lui, il ne tira pas immédiatement,
contrairement à son frère, mais banda l’arc plusieurs fois pour bien le sentir
en main. Sa résistance le surprit lui aussi. Toutefois, en l’espace d’un
instant, il eut attrapé le coup de main.
Hop avait rapporté les trois flèches aux pieds de sa
maîtresse. Gwenda les ramassa et les tendit à Ralph.
Celui-ci visa l’arbre sans bander l’arc ni exercer de
pression sur la corde, s’attachant seulement à positionner la pointe de sa
flèche exactement sur le tronc. Voilà ce que j’aurais dû faire ! se dit
Merthin. Tout en observant son frère, il s’étonna une fois de plus de
l’habilité de Ralph pour tout ce qui relevait des mouvements du corps et de sa
maladresse dès qu’il était question des choses de l’esprit. Ralph courbait
l’arc avec difficulté, certes, mais en un mouvement fluide dans lequel ses
cuisses semblaient supporter tout l’effort. Libérée, la flèche alla frapper le
tronc du chêne, s’enfonçant de plus d’un pouce dans le bois tendre formant
l’aubier. Ralph eut un rire de triomphe.
Hop, qui s’était s’élancé à la suite de la flèche, s’arrêta
au pied de l’arbre, désorienté.
Ralph bandait l’arc à nouveau. « Ne tire
pas ! » hurla Merthin en devinant ses intentions. Trop tard ! La
flèche pénétra dans le cou du chien, qui s’affaissa, pris de convulsions.
Gwenda poussa un hurlement. « Mon Dieu !
« s’écria Caris.
Les deux petites filles se précipitèrent.
Ralph souriait de toutes ses dents. « Pas mal,
hein ?
— Tu as tué son chien ! lui jeta Merthin avec
colère.
— Et alors ? Il n’avait que trois pattes.
— La petite fille l’aimait, imbécile ! Regarde-la,
elle pleure maintenant.
— Tu dis ça parce que tu es jaloux », riposta
Ralph et il se tut brusquement, l’œil vissé sur un fourré. Ayant placé d’un
geste souple une autre flèche sur la corde, il imprima une rotation à son arme
et tira sans interrompre son mouvement. Merthin ne découvrit sa cible qu’en
voyant un gros lièvre bondir en l’air, une flèche plantée dans l’arrière-train.
Il ne put cacher son admiration. Ce n’était pas donné à
n’importe qui de tirer un lièvre, même avec de l’entraînement. Son frère avait
un don,
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