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Un Monde Sans Fin

Un Monde Sans Fin

Titel: Un Monde Sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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leurs conversations formait un vrai vacarme.
    Puis les cloches sonnèrent et le silence se fit.
    Sieur Gérald se tenait juste à côté d’une petite fille d’une
dizaine d’années et de sa famille, de riches marchands de laine de la ville, à
en juger d’après la qualité de leurs manteaux. Gwenda s’était glissée derrière
eux et faisait de son mieux pour passer inaperçue. À sa consternation, la
petite fille lui adressa un sourire joyeux, comme pour lui signifier de ne pas
avoir peur.
    L’un après l’autre, les moines qui se tenaient en bordure de
la foule éteignirent leurs torches. Le sanctuaire tout entier sombra dans le
noir.
    Gwenda s’inquiétait. La petite fille riche ne risquait-elle
pas de se rappeler d’elle, plus tard ? Elle ne s’était pas contentée de lui
jeter un coup d’œil rapide pour l’ignorer ensuite, comme la plupart des gens
d’habitude. Non, elle l’avait bien regardée. Elle lui avait même fait un grand
sourire. Enfin, il y avait des centaines d’enfants dans la cathédrale, se
dit-elle pour se rassurer. Dans cette pénombre, la petite fille ne pouvait pas
avoir gardé un souvenir très précis de son visage... n’est-ce pas ?
    Invisible dans l’obscurité, elle fit un pas en avant et se
faufila furtivement entre les deux silhouettes devant elle. Coincée entre le
doux manteau de laine de la petite fille et le rugueux surtout du chevalier,
elle était à présent en bonne position pour atteindre la bourse.
    Introduisant la main dans son col, elle dégaina son couteau.
Au même instant, un hurlement terrifiant brisa le silence. Gwenda s’y
attendait, car sa mère lui avait expliqué le déroulement de l’office. Pourtant,
ce cri la fit sursauter, tant il ressemblait à celui d’un homme sous la
torture.
    Une puissante tambourinade retentit alors, comme si
quelqu’un martelait de toutes ses forces un plat en métal. D’autres sons
suivirent : un gémissement, un rire de fou, la sonnerie d’un cor de
chasse, un grelot, des bruits d’animaux et l’écho d’une cloche fêlée. Dans la
foule, un enfant se mit à pleurer, bientôt rejoint par d’autres. Des grandes
personnes ne purent retenir des rires nerveux, bien qu’elles sachent ces bruits
produits par les moines. La cacophonie était atroce.
    Le moment était mal choisi pour voler la bourse, se dit
Gwenda craintivement. Comme tout le monde, le chevalier avait les sens en
alerte : il percevrait le moindre frôlement.
    Ce tintamarre diabolique avait atteint son paroxysme quand
s’y mêla un son nouveau, une musique si ténue que Gwenda crut d’abord s’être
méprise, mais qui s’amplifia peu à peu jusqu’à devenir un cantique. Ces voix
divines étaient celles des religieuses. Gwenda se raidit
involontairement : l’instant fatidique approchait.
    Se mouvant à la façon des esprits, sans provoquer le moindre
souffle d’air, elle pivota sur les talons afin de se retrouver face à sieur
Gérald. Elle savait exactement en quoi consistait son habit : il se
composait d’une lourde tunique en laine ramassée à la taille à l’aide d’une
large ceinture cloutée à laquelle pendait la fameuse bourse, au bout de son
lacet de cuir. Au-dessus, le chevalier portait un coûteux surtout brodé à
présent élimé, fermé bord à bord par des boutons en os. Ces boutons jaunis, il
ne les avait pas tous attachés, soit par paresse, parce qu’il somnolait à demi,
soit tout simplement parce qu’il n’y avait pas une grande distance à parcourir,
de l’hospice à la cathédrale.
    Gwenda posa une main sur le devant du manteau du chevalier.
Prêtant à sa main droite la légèreté d’une araignée, imaginant ses doigts plus
légers que des pattes – si légers que sa victime ne pouvait les sentir –, elle
les fit descendre le long du surtout, puis s’introduire sous un pan du vêtement
et suivre le cheminement du ceinturon jusqu’à la bourse.
    Le vacarme diminuait à mesure que montait la musique. Un
murmure apeuré s’éleva des premiers rangs de la foule et se propagea vers le
fond de l’église. Gwenda ne voyait rien. Néanmoins, elle devinait qu’un
candélabre allumé sur l’autel illuminait un reliquaire qui ne s’y trouvait pas
quand les cierges et les torches s’étaient éteints – le célèbre reliquaire
contenant les os de saint Adolphe, objet magnifique fait d’ivoire sculpté
rehaussé d’or. La foule se tendit en avant, chacun cherchant à se rapprocher
des saintes reliques.

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