Un Monde Sans Fin
Sachez qu’il n’en est rien ! Ma mère me suit partout pour s’assurer
que je vais bien. »
À la vue de Gwenda, ils éclatèrent de rire. Sam avait déjà
posé son ouvrage et, s’avançait vers elle. La mère et le fils s’assirent sur un
banc, près de l’escalier qui montait aux chambres.
« Je mène une vie de rêve, expliqua le jeune homme. La
plus grande partie du temps s’écoule en distractions : chasse à courre,
fauconnerie, concours de lutte ou de monte, jeux de ballon... j’apprends tant
de choses, ici ! C’est un peu embarrassant de rester confiné au milieu
d’adolescents, mais je le supporte. Je dois encore apprendre à me servir d’un
bouclier et d’une épée en étant en selle. »
Il s’exprimait déjà différemment, constata Gwenda. Il avait
perdu en partie l’accent traînant de la campagne et il utilisait des mots
français comme « fauconnerie » ou « monte ». Peu à peu, il
se faisait une place au sein de la noblesse.
« Et le travail ? Vous ne passez quand même pas
votre vie à vous divertir ? »
Sam lui montra ses camarades occupés à lustrer l’armure.
« Nous avons beaucoup à faire, mais c’est presque une sinécure, comparé au
labeur des champs. »
Il s’enquit de son frère. Gwenda lui rapporta les dernières
nouvelles de la famille. La garance avait repris, ils en avaient récolté les
racines ; David continuait à fréquenter Amabel et personne n’avait encore
contracté la peste au village. Tandis qu’ils devisaient, elle eut soudain la
sensation d’être épiée, impression qui n’avait rien d’imaginaire, elle en était
persuadée. Elle laissa donc s’écouler un moment avant de jeter un coup d’œil par-dessus
son épaule.
Le comte Ralph se tenait en haut de l’escalier, devant une
porte ouverte. À l’évidence, il venait de sortir de ses appartements. Depuis
combien de temps l’observait-il ? Elle croisa son regard, un regard
intense qu’elle ne put décrypter. Y percevant une intimité inconfortable, elle
détourna les yeux, gênée.
Quand elle releva la tête, il avait disparu.
*
Le lendemain, alors qu’elle était à mi-chemin de chez elle,
un cavalier la rattrapa au galop.
Gwenda porta la main au long poignard qu’elle gardait à la
ceinture.
Ce n’était que sieur Alan Fougère, qui déclara :
« Le comte veut te voir.
— Dans ce cas-là, il aurait dû venir en personne.
— Je vois que tu as toujours autant de repartie.
Crois-tu que tes supérieurs t’en apprécient davantage ? »
Il avait raison, se dit-elle. Une personne de bon sens ne se
moquerait pas des tristes sires comme lui, mais leur lècherait les bottes. Sa
remarque l’avait décontenancée, peut-être parce qu’elle ne l’avait jamais
entendu dire une phrase intelligente au cours de ses nombreuses années passées
au service de Ralph. Elle laissa échapper un soupir las. « Dois-je
rebrousser chemin et m’en retourner au château, puisque le comte me
mande ?
— Non, il a une cabane près d’ici, qu’il utilise
parfois pendant la chasse. Il s’y trouve en ce moment. »
Le cavalier pointa le doigt vers la forêt qui bordait la
route.
En tant que serve, Gwenda ne pouvait s’opposer à la volonté
de son seigneur. D’ailleurs, en aurait-elle manifesté l’intention qu’Alan
l’aurait hissée de force sur sa monture, quitte à l’assommer au préalable et à
la ligoter. Elle se résigna donc.
« Tu peux monter en selle devant moi, si tu veux.
— Non, merci. Je préfère marcher. »
En cette saison, les broussailles étaient épaisses. Elle
suivit le cavalier à travers bois, profitant du sentier que traçait le cheval
en se frayant un passage au milieu des orties et des fougères. La route
disparut rapidement à sa vue, cachée par la végétation. Quelle lubie avait
saisi Ralph d’organiser pareille rencontre ? Se tracassait-elle. À tout
croire, cela n’augurait rien de bon pour elle-même ou pour les siens.
Au terme d’une courte marche, ils parvinrent à une chaumière
qu’on aurait prise pour celle d’un garde forestier. Alan attacha son destrier à
un jeune arbre et entra le premier.
L’endroit avait le même aspect nu et utilitaire que
Château-le-Comte. Le sol était en terre battue ; les murs en clayonnage
n’étaient pas tous recouverts de torchis ; et le plafond n’était rien
d’autre que des plaques de chaume constituant le toit. Quant au mobilier, il
était réduit à son strict
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