Un paradis perdu
de la mère de Pacal. Sermonnés par leur professeur de droit, un ami de Robert Lowell, ils se montraient désormais amicaux, allant jusqu'à inviter le jeune Bahamien au Blue Parrot, pour déguster des crêpes et le faire parler des îles qu'ils se promettaient de visiter un jour.
Ce matin-là, ces jeunes gens, deux seniors , connaissaient l'euphorie de la réussite. Ayant bouclé avec succès leurs quatre ans d'études, ils allaient recevoir leur diplôme, mais ne quitteraient pas Harvard sans regret. La vie qui les attendait – l'un deviendrait avocat, l'autre banquier, comme son père – ne serait sans doute pas aussi agréable que celle d'étudiant.
– Nous viendrons l'an prochain, pour participer au Graduation Day et assister à la parade de fin d'études et féliciter le Bachelor of Sciences que vous serez certainement devenu, dit celui au visage porcin, à qui le base-ball avait fait perdre sa précoce bedaine.
– J'ai parlé de vous lors de la dernière réunion de l'Alpha-Delta-Phi 3 . Vous pouvez poser votre candidature, vous serez admis, dit l'autre, un gaillard de plus de six pieds, en lissant sa moustache.
– Il se trouvera bien quelqu'un pour mettre une boule noire contre un Indien des îles, plaisanta Pacal.
– Nous voudrions bien voir ça ! dirent en chœur les deux garçons.
Ils se serrèrent chaleureusement la main et Pacal poursuivit son chemin.
À peine franchi le seuil de la maison, il reconnut, venant du salon, la voix de Robert Lowell. Nesta, toujours aimable avec Pacal, semblait guetter le retour de l'étudiant. Avant qu'il n'entre au salon, elle lui fit signe de la suivre à la cuisine, un doigt sur ses lèvres pour l'inviter au silence.
– Missié professo' vient d'arriver par le train de nuit, missié Pacal. Je crois bien qu'il est pas content contre m'ame Viola. Il a dit faire les bagages de m'ame Viola et des enfants. Tout le monde y s'en retourne ce soir avec lui à Philadelphie.
– Merci, Nesta, de m'avertir.
Il demeura un instant perplexe devant la Noire, qui tortillait son tablier en considérant Pacal avec commisération.
– Sais-tu ce que le professeur reproche à Madame ? risqua-t-il.
– Je sais pas, je sais pas, missié Pacal, non, je sais pas. J'ai seulement entendu qu'il parlait des soldats qu'ont été tués par les Sioux. C'est dans le journal, en gros, je crois. Missié professo' a dit à m'ame Viola de pas sorti' dans la 'ue, c'est tout ça que j'ai entendu, missié Pacal.
Pacal ne fuyait pas les situations embarrassantes. S'il devait affonter Lowell, autant le faire tout de suite, bien décidé qu'il était à dire que Viola n'avait fait que succomber à ses assauts. Il remercia la cuisinière et, d'un pas décidé, se rendit au salon.
Il fut presque étonné de voir Bob Lowell venir à lui souriant. Avant toute considération, le professeur s'enquit des résultats obtenus par son élève. Il félicita Pacal pour sa réussite et l'invita à s'asseoir.
– L'an prochain, nous fêterons le nouvel ingénieur ; votre père sera content et votre maître aussi.
Rassuré, Pacal se détendit. Un mari trompé ne se montrerait pas si courtois. Aussi, fut-ce avec une aisance retrouvée qu'il commenta les questions de l'examinateur de physique et ses réponses.
– Très bien répondu, mais vous aurez à travailler dur, l'an prochain, d'autant plus que je ne serai pas là pour vous stimuler et vous corriger, dit Bob.
– Comment, vous ne serez pas là ? s'étonna Pacal.
– Je quitte l'institut et Cambridge. J'ai rencontré, à l'Exposition de Philadelphie, où je dois retourner demain, un homme extraordinaire, Andrew Carnegie, un millionnaire qui possède plusieurs grandes usines métallurgiques et je vais entrer dans ses affaires. Mais, laissons cela pour l'instant, c'était simplement pour vous dire qu'il vous faut, pour l'an prochain, trouver un logement, car cette maison doit être libérée. Mon successeur à l'institut sera nommé le mois prochain.
– J'ai du mal à imaginer les études sans vous. Mais, pour le logement, mon ami Thomas Artcliff pourra m'aider.
– C'est ce que je pensais. Et votre grand-père pourra payer votre loyer dans un luxueux dormitory , ajouta Bob, malicieux, en claquant l'une contre l'autre ses mains de bois, tic familier qui, toujours, mettait Pacal mal à l'aise.
Rassuré par le fait que le professeur semblait
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