Un paradis perdu
contraignirent à leurs façons habituelles.
Le soir, à Cambridge, après le repas, Pacal regagna sa chambre pour réviser les chapitres de physique sur lesquels risquaient de porter les examens du lendemain. Absorbé par son travail, il sursauta quand la porte de sa chambre s'ouvrit lentement.
Viola, en peignoir, pénétra dans la pièce, jeta sur une chaise son seul vêtement et, nue, vint à lui.
– Je te dois un plaisir, dit-elle.
Ravi, il la souleva dans ses bras et la jeta sur le lit, avant de se dévêtir.
Aussitôt, elle réclama de Pacal les caresses de ce qu'elle persistait à appeler ses « mains de chair », ses « mains vivantes ». Cette fois-ci, elle y répondit avec fougue et se livra sans réticence à l'étreinte refusée dans l'après-midi.
Plus tard, alors que, rassasiés, ils reposaient côte à côte, abasourdis par l'audace de leur conduite, sous le toit de Lowell, ils se dressèrent en entendant des pleurs d'enfant.
– Leontyne a souvent des cauchemars. Il faut que j'aille la calmer avant qu'elle ne réveille toute la maison, dit Viola, quittant précipitamment le lit.
Resté seul, Pacal se prit un moment à évaluer les risques de l'adultère dans lequel il avait entraîné la femme de son mentor.
Quelques semaines plus tôt, il avait lu l'ouvrage de Nathaniel Hawthorne, la Lettre écarlate , un roman publié en 1850 que lui avait prêté Thomas Artcliff. Il n'était, certes, pas le pasteur Dimmesdale, Viola n'était pas Hester Prynne et les lois n'étaient plus celles des premiers temps de la colonie de Nouvelle-Angleterre, quand une femme adultère de Salem devait porter, cousue sur ses vêtements, un grand A découpé dans une étoffe rouge. Cet insigne infamant la désignait alors à l'hypocrite vindicte puritaine.
Cependant, comme la malheureuse héroïne d'Hawthorne, Viola avait trompé avec lui, Pacal, fils de l'ami du professeur Lowell et élève préféré de ce dernier, un mari absent. On ne lui infligerait certes pas le port de la lettre écarlate, mais quelles seraient les conséquences d'un tel acte, s'il venait à être connu de Bob ? Quelle serait aussi la réaction de Charles Desteyrac ?
Pacal attendit un moment le retour de la jeune femme puis, ne la voyant pas venir, sombra dans un sommeil exempt de rêves. Il fut réveillé par la clarté vive du soleil, fit une toilette hâtive, s'habilla, enferma dans son portefeuille d'étudiant les notes dont il pourrait se servir pour répondre à l'interrogation de physique, descendit l'escalier en sautant les marches, refusa, non sans mérite, le petit déjeuner que lui proposa Nesta, la cuisinière noire, et se prépara à courir au MIT. Il ne s'agissait pas d'arriver après la clôture de la session d'examen. Dans l'entrée, il se heurta à Viola.
– Cette nuit, je crois bien que Martha, la nurse des enfants, réveillée par les pleurs de Leontyne, m'a vue descendre l'escalier ? A-t-elle compris que je sortais de ta chambre ?
– Crois-tu qu'elle parlera ?
– Elle ne m'aime pas plus que toi. Pour elle, nous sommes des Indiens. Mais cours, ne sois pas en retard aux examens.
Quand vint le tour de Pacal pour comparaître devant le jury de physique, il se tira brillamment de l'épreuve et, aussitôt libéré, s'en fut rejoindre son ami Artcliff au Fencing Club pour quelques assauts d'escrime, sport où les deux amis excellaient. Thomas ayant, lui aussi, subi les épreuves avec succès, ils pourraient ensemble, l'esprit léger, assister au Graduation Day , jour de la remise des diplômes aux seniors – ainsi qu'on nommait les étudiants de quatrième année –, grande fête de l'université, avant de se séparer pour les vacances.
Pacal se retint de raconter au New-Yorkais ce qu'il avait vécu avec la femme de son professeur. Une vague honte le retint, alors que les garçons étaient plutôt enclins à se vanter de leurs bonnes fortunes. Il découvrit à cet instant qu'absorbé par les interrogations, il n'avait plus pensé à Viola au cours de la matinée. Ce n'est qu'au moment de rentrer au foyer de son maître qu'une sourde angoisse le reprit.
En route, il rencontra deux des garçons avec lesquels il s'était battu, deux ans plus tôt, dans le hall du dormitory où logeait Artcliff. Depuis cette algarade, qui, en son temps, avait fait quelque bruit, aucun étudiant ne s'était plus permis de faire allusion aux origines arawak
Weitere Kostenlose Bücher