Un paradis perdu
majorité d'Américains pensaient être la plus juste et la plus sûre cohabitation avec ceux qu'ils nommaient Amérindiens.
– Je comprends. Mais ces gens du département des Affaires indiennes, ne peuvent-ils leur faire entendre raison ? osa Pacal.
– Vous ne savez pas ce qu'a dit un chef des Teton. À Philadelphie, c'est justement un officier des Affaires indiennes, cependant bien disposé à l'égard des Sioux, qui me l'a rapporté. Ce Kicking Bear a dit : « Mes frères, je vous apporte la promesse d'un jour où il n'y aura plus un homme blanc pour poser la main sur la bride d'un cheval indien ; où l'homme rouge de la prairie gouvernera le monde et ne sera détourné de ses terrains de chasse par personne 7 . » N'est-ce pas là une véritable déclaration de guerre ?
L'entrée de Viola dans le salon mit fin à la conversation. L'épouse de Lowell s'informa du résultat des examens de Pacal avant d'annoncer à son mari qu'elle serait prête à partir, avec les enfants, dès trois heures de l'après-midi.
– Très bien. Je vous conseille tout de même, en raison de l'agitation qui va régner en ville, quand le massacre de la Little Big-horn sera connu de tous, de vous couvrir le visage d'une mousseline quand nous partirons pour la gare, dit Bob.
– Si quelqu'un venait à me manquer de respect, je pense que vous sauriez protéger votre épouse, répliqua Viola, sèchement.
– Je vous prie de ne pas me donner l'occasion d'avoir à le faire, jeta Lowell en haussant le ton.
C'était la première fois que Pacal entendait Viola répondre avec autant d'assurance à son mari.
Quand elle sortit, Robert Lowell sonna Nesta et lui demanda de servir deux verres de bière. C'était aussi la première fois, depuis trois ans, que Pacal était invité à boire par son professeur. Il regarda Bob saisir sans difficulté son verre entre ses mains de bois et l'élever dans sa direction.
– À votre succès, futur senior … et à la mémoire de nos soldats morts, compléta-t-il.
Pacal comprit que l'affaire de la Little Big-horn éprouvait cet homme plus qu'il ne voulait le laisser paraître.
– Connaissiez-vous le général Custer ? demanda-t-il, pour marquer quelque intérêt à l'affaire.
– Je connaissais Custer. Il avait été fait général à vingt et un an, après la bataille de Gettysburg. C'était un soldat courageux, ambitieux, parfois téméraire, ainsi que sa fin tragique le prouve. Il a gagné tous ses galons sur les champs de bataille, pendant la guerre civile. Depuis 1867, il se battait contre les Indiens, qui voyaient en lui leur plus rude ennemi. C'était un bel homme, immodeste, peut-être. Mais c'était un piètre stratège, il l'a montré en divisant ses forces sur les deux rives de la Little Big-horn. Toujours élégant, il portait les cheveux longs, une moustache et une barbiche. Chaussé de bottes rouges, il ne quittait jamais ses gants à crispin. Nous l'appelions Curly, à cause de ses boucles blondes, dont il était fier. Avec sa mort odieuse, l'armée perd un bon officier, développa Lowell, avant de vider son verre.
Après le repas, au cours duquel les époux réglèrent, en termes comme toujours laconiques, les derniers détails de leur déménagement, le professeur quitta la maison pour se rendre au MIT. Il lui fallait prendre congé du président et de ses collègues. Pacal regagna sa chambre pour préparer son bagage, car il devait quitter la maison le lendemain, pour se rendre, par le train et avec Thomas Artcliff, à New York, où il embarquerait sur le paquebot qui assurait la ligne des Bahamas. Lord Simon lui avait, depuis longtemps, expédié billets et réservations.
Il trouva sur sa table une lettre de son père, qui lui annonçait la mort de Maoti-Mata. Avant de poursuivre plus avant sa lecture, Pacal se laissa aller à la tristesse que suscitait, à travers ses souvenirs, la disparition d'un être sans âge, de qui on eût accepté qu'il fût éternel. Le cacique des Arawak lui avait longtemps inspiré de la crainte, avant qu'il n'en vînt, adolescent, à le respecter et à l'aimer, comme un patriarche détenteur de pouvoirs mystérieux et d'une impassibilité surnaturelle.
Reprenant sa lecture, il découvrit, non sans une nouvelle émotion, que son père lui faisait part d'une dernière volonté, exprimée par Maoti-Mata. « Mon vieil ami a demandé, la veille de sa mort, que ce soit toi qui
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