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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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annonce à Viola que son grand-père est passé de l'autre côté du soleil. »
     
    Pacal s'interrogeait encore sur la manière la plus délicate de présenter à Viola l'affligeante nouvelle quand, profitant de la brève absence de son mari, la jeune femme rejoignit l'étudiant.
     
    Avec un sourire mélancolique, elle lui prit les mains et dit son regret de le quitter. Sans attendrissement ni allusion à ce qu'ils avaient vécu la veille et la nuit précédente, elle s'exprima avec pondération, renonçant au français de leur intimité, comme pour marquer que l'aventure, simplement charnelle, était close.
     
    – Quitter Cambridge, où je ne me suis jamais sentie à l'aise, ne me déplairait pas si ce n'était pour aller habiter Pittsburgh, soupira-t-elle.
     
    – Pittsburgh ! Je croyais que vous alliez à Philadelphie, s'exclama Pacal.
     
    – Seulement pour le temps de l'Exposition. Mais Pittsburgh sera notre destination définitive. Bob va y travailler.
     
    – Pittsburgh, mon père m'en a souvent parlé, c'est là qu'il a connu Bob. Il m'a souvent dit : « C'est la ville industrielle la plus enfumée de l'Union », rappela Pacal.
     
    – Que voulez-vous, mon mari s'est entiché de ce Carnegie. C'est un homme très riche. Ses seules parts dans le pétrole lui rapportent cinq mille dollars par jour et il possède quatre usines, dont la Keystone Bridge Company où Bob a été autrefois ingénieur, la Pittsburgh Locomotive Works, l'Union Iron Mills et la Superior Rail Mills. Toutes ces affaires sont gérées par une sorte d'état-major, dans lequel Bob va entrer, avec un salaire cinq fois plus élevé que celui versé par l'institut.
     
    – C'est une promotion. Vous aurez la vie plus facile, commenta Pacal, décontenancé par l'attitude réservée de Viola.
     
    Il n'avait plus devant lui la femme qui, la veille, réclamait caresses et étreintes, amoureuse ardente et téméraire, mais une épouse américaine raisonnable, douée d'un sens pratique inattendu.
     
    Il jugea le moment opportun pour accomplir la mission dont le cacique, par l'intermédiaire de son père, l'avait chargé. Il fut bref et Viola accueillit la nouvelle de la mort de Maoti-Mata sans démonstration excessive de chagrin. Elle demeura un instant silencieuse, puis deux grosses larmes roulèrent sur ses joues, qu'elle essuya d'un revers de main.
     
    – Grand-père était savant dans les choses de l'esprit. C'était un homme bon, sage et généreux. Je prierai mes zemis pour qu'il traverse le soleil sans souffrance, dit-elle simplement.
     
    Pacal savait que Viola, comme beaucoup d'Arawak depuis longtemps christianisés, continuait à faire des dévotions aux génies tutélaires de sa race. En cachette de son mari, elle vénérait de très anciennes statuettes de pierre polie, apportées de Soledad.
     
    Robert Lowell avait, plusieurs fois, menacé de briser ces idoles. Il tenait pour simagrées superstitieuses et stupides des invocations indignes d'une personne élevée dans la religion anglicane, épouse légitime d'un évangéliste américain.
     
    Le temps leur étant mesuré, Pacal fit des condoléances timides et affectueuses. Ils échangèrent un baiser furtif de bons camarades et Viola descendit l'escalier sans se retourner.
     
    Assis au bord de son lit, Pacal s'avoua partagé entre deux sentiments. D'une part, il admettait que Viola, sachant leur folle aventure sans avenir, devait être bien aise que son mari n'ait eu aucun soupçon. Le départ précipité de la famille supprimait tout risque d'imprudence, par geste ou mimique, de l'un ou de l'autre. D'autre part, il connaissait une amère déception. Sans être réellement amoureux de Viola, il eut été prêt à jouer le rôle du consolateur tendre et secret, d'autant plus volontiers qu'il gardait de leurs étreintes tumultueuses un souvenir enivrant. Viola était la première femme qui se fût comportée avec lui comme une maîtresse amoureuse. Il n'avait, jusque-là, connu que les gentilles prostituées irlandaises dont, à l'institut, les étudiants se passaient les adresses et les tarifs. Mais ces « vestales du coït hygiénique », ainsi que les qualifiait Thomas Arftcliff, ne proposaient qu'un simulacre de passion. Viola s'était donnée avec sincérité, imprudence et frénésie. Il ne pouvait croire que le sentiment amoureux n'ait eu nulle part dans leur complicité.
     
    Quand vint l'heure de la séparation, les effusions furent chaleureuses, bien

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