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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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amarres, débardeurs et employés du port répondirent, en agitant leur bonnet, aux trois notes graves de la trompe du navire qui annonçait le départ.
     
    Sitôt l'appareillage, la cloche du dîner appela les passagers à la salle à manger. Observant la tradition, lord Simon laissa la présidence de la table au commandant Maitland, dont l'uniforme bleu nuit rappelait celui qu'il avait longtemps porté dans la Royal Navy. Sa veste était ornée, sur le côté gauche de la poitrine, des décorations acquises pendant vingt années de service dans la flotte des West Indies.
     
    Au cours du repas, chacun put apprécier la stabilité du navire qui, malgré un vent contraire, filait douze nœuds, tandis que sa cheminée libérait une fumée grise « de la même couleur que les nuages », observa Myra Maitland.
     
    La conversation roula exclusivement sur le Phoenix II , que les Bahamiens avaient à peine eu le temps de parcourir. Tous étaient avides de précisions quant à la traversée dont la destination première, à la demande de lord Simon, serait New York. Le commandant Maitland, après avoir dit sa fierté de commander le Phoenix II , « unité digne d'accueillir la famille royale », répondit à toutes les questions.
     
    – Nous suivrons la route sud, qui reste en dessous de la limite des glaces, pour éviter la rencontre d'icebergs, toujours possible, même avant la fonte de la banquise arctique. Elle nous conduira aux Açores, seule escale prévue pour faire du charbon. Nos soutes contiennent quarante tonnes de charbon gallois, ce qui nous permettrait peut-être d'arriver sans encombre à New York. Mais mieux vaut jouer la prudence, nos chaudières étant neuves et leur appétit variable suivant l'état de la mer.
     

    Quand, au matin, le navire quitta la mer d'Irlande et s'engagea, cap au sud, dans le canal Saint-George, Charles, sitôt le breakfast avalé, sortit sur le pont. La brume s'était dissipée et, sous un ciel clair, par un froid sec, on distinguait les côtes d'Irlande. Le Phoenix II s'en était rapproché pour s'abriter des vents d'ouest, toujours forts en cette saison.
     
    L'appareillage avait ouvert pour Charles Desteyrac un éventail de réminiscences plus ou moins plaisantes. Quand il s'accouda à la lisse, près de Tom O'Graney, qui, le regard vague, observait sa rive natale, il se trouva dans la même situation qu'en janvier 1853, alors qu'à bord du premier Phoenix , il partait pour les Bahamas, ne pouvant imaginer ce que serait son destin.
     
    – Vous souvenez-vous, Tom, de notre première conversation ? Comme ce matin, nous étions accoudés au bastingage, et nous regardions défiler la terre irlandaise.
     
    Avec l'âge, la tignasse bouclée et la barbe du maître charpentier avaient viré au blond pâle, le blanc des roux. Sa voix de fausset, si souvent moquée, avait acquis une tonalité plus grave.
     
    – Si je m'en souviens ! Diable, il y a plus de vingt ans, Monsieur l'Ingénieur !
     
    – Vingt-sept ans exactement, Tom, et vous veniez de quitter l'Irlande.
     
    – Cette fois-ci, je n'y ai pas mis les pieds et je ne reverrai sans doute jamais l'île Verte.
     
    – Vous auriez pu vous y rendre, de Liverpool, pendant que nous étions à Londres, observa Charles.
     
    – À quoi bon, Monsieur l'Ingénieur ? Je n'ai plus aucun parent. Mes amis sont morts ou, comme moi, ont passé l'Océan pour fuir la misère ou la prison. Depuis notre première rencontre, plus de six millions d'Irlandais ont dû abandonner leur terre. Plus de soixante mille sont encore partis cette année 4 . Et l'exode continuera, car une famille ne peut pas vivre sur les dix hectares que les Anglais laissent à nos fermiers. La moitié de l'Irlande appartient maintenant à sept cent cinquante grands propriétaires anglais. Et pourtant, c'est l'Irlande qui a fourni le plus gros contingent des soldats qui ont gagné la bataille de Waterloo.
     
    – J'ai lu à Londres que Michael Davitt, un ancien fenian 5 , avait fondé la Ligue agraire et que l'homme politique Charles Stuart Parnell a accepté d'en assurer la présidence. Ils demandent l'autonomie de votre île et veulent promouvoir l'idée de Home Rule .
     
    – Les Anglais ont anéanti, chez nous, toute possibilité d'industrie. Ils veulent que nous restions des cultivateurs à leur service. Ils ne lâcheront jamais l'Irlande, monsieur. Et nous ne sommes ni assez forts ni armés pour les chasser.
     
    – Il existe cependant

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