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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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nous garde à jamais de la république, qui est l'abaissement des manières dans les sociétés, commenta lady Olivia.
     
    – Le malheureux comte est maintenant exilé à Frohsdorf, en Autriche, poursuivit Kelscott, ignorant l'intervention de sa femme.
     
    Au cours de la soirée, Pacal veilla à ne pas faire danser Jane plus souvent qu'à son tour et, quand les Kelscott prirent congé, devant l'air un peu contrit de la jeune fille, il se fit plus aimable.
     
    – J'ose espérer, si je reviens un jour en Angleterre, avoir l'occasion de vous revoir, mademoiselle.
     
    – Vous serez si loin et l'Océan est si large, soupira-t-elle. M'écrirez-vous ? osa-t-elle soudain, avec l'audace inopinée des timides.
     
    – Je vous enverrai une aquarelle de Soledad. J'ai un ami, un Arawak, qui peint fort bien nos îles, promit Pacal en s'inclinant.
     
    Quand les Bahamiens se retrouvèrent entre eux, Ottilia dit à son père ce qu'elle pensait de l'invitation aux Kelscott.
     
    – On dirait que vous voulez encourager cette pauvre Jane et ses parents à voir dans Pacal un parti possible, même souhaitable, dit-elle.
     
    – C'était drôle, non, de voir la dernière Kelscott – encore vierge, j'en mettrais ma main au feu – déployer le peu de charmes qu'elle a pour émoustiller Pacal, tandis que la vieille lady Olivia, taillée comme un coffre gothique, suivait de loin le déroulement des opérations. Ah ! Ah ! une vraie pantomime de Christmas  !
     
    – Permettez-moi de vous dire, grand-père, qu'en tant que second acteur de votre pantomime, j'ai trouvé votre mise en scène hasardeuse. Jane n'est pas une marionnette. C'est un être humain, une jeune fille sensible, sans doute malheureuse de voir toutes ses sœurs mariées. On ne doit pas lui donner de fausses espérances. J'ai dû tenir la distance mondaine du mieux que j'ai pu, dit Pacal.
     
    – Holà ! Holà ! ne dramatisons pas, s'exclama lord Simon, un peu décontenancé par la critique de son petit-fils.
     
    – Pourquoi, diable, les jeunes filles d'ici se lancent-elles à la tête des garçons ? demanda Albert Fouquet.
     
    – Parce que, mon ami, les Anglaises font beaucoup de filles. En tout cas, plus de filles que de garçons. Cela tient peut-être au climat ou au thé ! Un membre du Parlement m'a dit que l'on comptait actuellement, chez nous, deux cent mille filles de plus que de garçons. Les mères doivent donc chercher des maris pour leurs jouvencelles et les jeunes gens défendre leur liberté jusqu'au jour où, ayant besoin d'argent pour payer leurs dettes, ils acceptent le mariage au vu de la dot et des espérances d'une demoiselle.
     
    – Mon père dit vrai. Ici, les jeunes filles considèrent le célibat comme une disgrâce. Elles doivent séduire ou rester filles. Et la concurrence est rude, compléta Ottilia.
     

    Au cours de la dernière semaine de leur séjour londonien, les Bahamiens firent de nombreuses emplettes : des bagages chez Allen, dans le Strand, des confitures et des thés chez Whittards, des manteaux imperméables chez Burberry, des eaux parfumées et des savons chez Floris et Penhaligon. Par son tailleur de Savile Row, Henry Poole, qui habillait les Cornfield depuis 1806, lord Simon avait fait confectionner pour Pacal deux costumes légers, dits « tropicaux ». Chez Giddens, conseillé par son grand-père, le jeune homme choisit une selle, des bottes et une tenue d'équitation digne d'un futur lord. Tandis que Simon, Charles et Albert choisissaient des cigares, Pacal décida de se « mettre à la pipe ». Inderwick, autrefois fournisseur du roi George V, lui fournit une pipe de bruyère et une d'écume de mer, à l'effigie de l'amiral Nelson, le vainqueur de Trafalgar.
     
    Après un dîner chez Simpson et une nuit paisible, tous, à Euston Station, montèrent dans le train pour Liverpool, dont une voiture-salon était réservée aux voyageurs aisés qui se rendaient en Amérique. Dès que le convoi s'ébranla, Pacal observa que son grand-père regardait en silence défiler derrière la vitre le décor de la cité, comme s'il la découvrait. Quand le vieillard se mit à lisser sa moustache, signe chez lui d'intime émotion, tous comprirent qu'il avait sans doute conscience de voir ces lieux pour la dernière fois.
     
    Le ferraillement du train le plus rapide d'Angleterre ne facilitant pas la conversation, lord Simon se montra peu loquace au cours des six heures et demie que dura le trajet.

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