Un paradis perdu
Cependant, lors d'un arrêt à Lichfield, il rappela que le lexicographe Samuel Johnson était né dans cette ville en 1709 et que Darwin y avait résidé.
Le ciel bas semblait supporté par les mâts des navires et un vent glacial chargé de neige fine balayait les quais quand les Bahamiens descendirent du train, dans le secteur du port de Liverpool réservé aux paquebots. Pour approcher du Phoenix II , dont ils aperçurent de loin la longue coque blanche et l'unique cheminée, ils durent se frayer un chemin à travers une foule de curieux.
– Il en est ainsi depuis trois jours que nous sommes à quai. Ces gens veulent voir le nouveau yacht de celui que tous les dockers, douaniers et commissionnaires appellent le lord des Bahamas, expliqua le commandant John Maitland, venu à la rencontre du groupe.
Soudain, lord Simon s'immobilisa et, levant sa canne, désigna, avec une exclamation de surprise teintée d'émotion, l'étrave du bateau qu'il n'avait vu jusque-là que sur tins dans le chantier de Birkenhead. Sous le mât de beaupré, le phénix de bois sculpté, pourpre et or, figure de proue du voilier incendié, déployait ses ailes. L'oiseau fabuleux, bec menaçant, dardait sur l'horizon un regard plein de défi au temps.
– Il est donc vrai que le phénix renaît de ses cendres, murmura lord Simon, incapable de dissimuler son émoi.
– C'est la surprise qu'ont voulu vous faire Lewis Colson et Tom O'Graney. Venus de Soledad, avec les marins retenus pour compléter le nouvel équipage, ils ont apporté cette figure de proue et l'on boulonnée sur l'étrave, révéla Maitland.
Le Phoenix II méritait bien l'attention que lui accordaient les familiers du port et offrait au regard la ligne élancée d'un clipper. Sa cheminée annelée blanche et bleue, légèrement inclinée vers l'arrière, portait le blason des Cornfield. Ceux qui s'étonnaient de voir ce vapeur pourvu de deux mâts ignoraient que lord Simon ne faisait qu'une relative confiance aux machines. Il avait exigé que l'on pût, en cas de panne, hisser vergues et voiles de tempête. Ces mâts devaient aussi servir à pavoiser le navire. Tandis que Simon Leonard gravissait l'échelle de coupée, retentit le sifflet du vieux maître d'équipage, modulant le protocolaire « Passe du monde sur le bord ! »
– Ce cérémonial est d'ordinaire réservé aux amiraux, mais les anciens m'ont assuré que votre beau-père y prend toujours plaisir, glissa, un tantinet ironique, Maitland à Charles.
Fidèle à la tradition, lord Simon se tourna vers l'arrière et se découvrit pour saluer l'Union Jack, tourmentée par le vent au mât de pavillon, auquel flottaient aussi les couleurs bahamiennes. Composé pour moitié de matelots de Soledad et de nouvelles recrues britanniques, le personnel était aligné sur le pont, au garde-à-vous, ce qui conférait à l'accueil de l'armateur une allure militaire.
Les nouveaux matelots, vareuse bleue et bonnet frappé de l'écusson du Phoenix II , furent nommés au lord après que Maitland lui eut présenté son second, Andrew Cunnings, un officier récemment libéré de la Royal Navy, et l'écrivain de marine, Joseph Balmer, qui avait servi sur les paquebots de la Cunard.
Quand Lewis Colson apparut sur le pont de teck, suivi du maître charpentier Tom O'Graney, lord Simon s'avança à leur rencontre. Sensible à l'attention de l'ancien commandant de sa flotte et du géant irlandais, il les remercia d'avoir paré le Phoenix II de la figure de proue de son ancien voilier. Tous trois partageaient la superstition des gens de mer pour qui l'âme d'un bateau défunt survit, à condition que sa figure de proue reste présente à la mer. Sans la réserve que se doit d'observer un gentleman en toutes circonstances, le vieil homme eût embrassé les deux marins.
Avec le commandant Maitland, lord Simon se retira dans ce qu'il était convenu d'appeler l'appartement de l'armateur, tandis que lady Ottilia retrouvait Myra Maitland, déjà installée à bord. Sous la conduite du maître d'équipage, venu de Soledad pour prendre en main les matelots recrutés à Liverpool, Charles, Pacal et Fouquet visitèrent le vaisseau.
– Le Phoenix II est plus court que notre voilier disparu. Il jauge cependant huit cents tonneaux. Sa double coque d'acier et ses compartiments étanches promettent des navigations sûres. Deux chaudières, d'une puissance de cinq cents chevaux chacune,
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