Un vent d'acier
Une foule défilait dans l’antisalle, avide de voir le tyran abattu. Certains l’insultaient. Le sang s’était remis à couler de sa blessure. Il l’étanchait de nouveau avec le sac de peau. Un commis lui donna des morceaux de papier. Le jour se levait, gris comme la veille. Les moineaux jacassaient dans le jardin. Vers six heures, les membres des Comités revinrent un à un. Sur leur ordre, deux chirurgiens examinèrent enfin le blessé. Ils lui lavèrent le visage, constatèrent que le maxillaire gauche était fracassé, retirèrent les dents brisées, quelques éclats d’os, et placèrent un bandage. Malgré la souffrance, Robespierre n’avait pas dit un mot, pas poussé un gémissement. Comme il essayait, sans y réussir, de desserrer les boucles de sa culotte aux genoux, un assistant de Carnot lui rendit ce service, et Maximilien, le regardant, articula péniblement : « Merci, monsieur. »
Peu après, on le vit se mettre avec effort sur son séant, relever ses bas de coton blanc qui lui tombaient sur les talons. Il se laissa glisser de la table et alla s’asseoir sur un fauteuil où il continua d’éponger avec du papier le sang suintant de sa bouche. Ce fut ainsi que le trouvèrent Saint-Just, Dumas et Payan. Amenés de la Sûreté générale où ils avaient passé la fin de la nuit, ils entrèrent dans l’antisalle sans apercevoir Robespierre, car la pièce se remplissait de plus en plus de curieux qui le masquaient.
« Écartez-vous ! leur cria-t-on. Écartez-vous ! que ceux-là puissent voir leur roi saigner comme un homme ! »
Pour la première fois depuis qu’il avait quitté le Comité d’exécution, à l’Hôtel de ville, Saint-Just retrouvait son ancien ami, son ancien maître. Il le regarda douloureusement. Maximilien demeura impassible. On fit asseoir les nouveaux venus dans l’embrasure d’une des fenêtres, entre des gendarmes. Ni Payan ni Dumas ne prononcèrent un mot. Seul Saint-Just, contemplant le tableau de la Déclaration des droits suspendu à la boiserie, murmura :
« C’est pourtant nous qui avons fait cela. »
Couthon et Augustin étaient là, eux aussi, sur des civières. On les avait déposés dans l’entrée, au pied de l’escalier de la Reine. Billaud-Varenne, Barère et Collot d’Herbois, réunis à côté avec quelques membres du Comité de Sûreté générale, prirent un arrêté ordonnant que Robespierre et ses complices seraient incarcérés à la Conciergerie. On les emmena aussitôt. Il était neuf heures, la séance de la Convention allait s’ouvrir. Maximilien fut transporté assis sur son fauteuil. De temps à autre, le cortège s’arrêtait pour laisser souffler les porteurs. Ils firent halte ainsi sur le Pont-Neuf, à l’entrée du quai des Lunettes, sous les fenêtres de la maison dans laquelle la future M me Roland avait grandi. Dubon, qui en sortait à ce moment pour gagner l’Hôtel de ville où il soutenait pratiquement, avec quelques collègues, toute la charge de la municipalité, se trouva face à face avec Robespierre posé, sur son fauteuil, à même le trottoir du pont, ainsi que Couthon et Augustin sur leurs brancards. Une petite foule, suivant depuis le Carrousel, grossissait en route et huait les tyrans. Dès l’aube, comme un bruit de cloches les nouvelles avaient résonné par toute la ville. Nombre de contre-révolutionnaires et de ceux pour lesquels Robespierre représentait tout ce qu’ils détestaient, étaient accourus aux Tuileries. Palpitants de joie, du désir de vengeance, ils insultaient les prisonniers. D’autres citoyens, silencieux, contemplaient avec stupeur ces victimes d’un prodigieux écroulement. Nicolas Vinchon était de ces ébahis. Il ne concevait pas comment une telle chose avait pu se produire, par quel aveuglement il avait manqué, en quittant cette nuit la Grève, l’une des plus foudroyantes révolutions de la Révolution.
Depuis un quart d’heure, il bruinait. Au-dessus de la Seine grise, la bannière tricolore pendait mollement sur son socle entre les canons d’alarme. Claudine et Gabrielle, attirées au balcon par la rumeur, regardaient le lugubre cortège, les malheureux couchés sur les civières, ce petit homme affreusement livide, la tête serrée dans une serviette sanglante, qui fermait les yeux sous les huées de la foule. Aux deux femmes comme à Dubon, ce spectacle poignait le cœur.
Claude aussi, arrivant au Comité après cinq heures de sommeil dont il avait bien
Weitere Kostenlose Bücher