Un vent d'acier
dont le jeune Méda familier des lieux pour y avoir été souvent de service, il s’avança par la ruelle du Pet-au-Diable. Il ne lui semblait pas impossible de s’introduire à petit nombre dans l’Hôtel de ville. Effectivement, les quatre hommes entrèrent sans difficulté par la porte de l’État-Major. Ils croisèrent des gendarmes qui ne prêtèrent nulle attention à ces collègues. Par le petit escalier, ils allaient arriver à l’étage, quand une détonation retentit.
Retiré avec Saint-Just dans la seconde salle du Secrétariat, Le Bas, voyant par la fenêtre les troupes de la Convention investir la place, avait compris que tout était perdu. Il venait de se tuer d’un coup de pistolet. Dans la salle contiguë, celle de l’Égalité, où les membres du Comité d’exécution délibéraient encore, et dans celle de la Liberté où se trouvait le Conseil général, le coup de feu provoqua une stupeur suivie aussitôt d’un remue-ménage. Fleuriot-Lescot accourait. On se bousculait dans le corridor desservant les deux pièces du Secrétariat. Dans la première de celles-ci, les deux Robespierre, Payan s’étaient levés de leurs sièges autour de la table pour aller voir à côté ce qui se passait, lorsque la porte donnant sur le corridor s’ouvrit. Deux gendarmes, se dégageant de la bousculade, entrèrent vivement. C’étaient Méda et le Léopard. Robespierre tourna la tête à demi vers eux. Bourdon, dirigeant la main de Méda armé d’un pistolet, dit : « C’est lui ! » Le coup partit. Atteint à la joue gauche, Robespierre fit encore deux ou trois pas vers la porte de la seconde salle et tomba, dans l’embrasure même, sur le concierge Brochard qui sortait de cette pièce où il avait vu Le Bas étendu, mort, et Saint-Just penché sur lui. Il crut que l’Incorruptible s’était suicidé lui aussi, et ne fut pas seul à le croire. Tandis qu’Augustin, aidé par Payan, relevait le blessé, le cri courait partout, comme une flamme :
« Robespierre s’est brûlé la cervelle ! »
Mais Fleuriot-Lescot avait vu et compris. Il écrivait fébrilement cet ordre pour Hanriot : « Sur-le-champ, quarante citoyens armés se rendront au bas de l’entrée de l’état-major, avec une pièce de canon, et empêcheront qui que ce soit d’y entrer ni sortir, excepté les officiers d’état-major. Vingt gendarmes se rendront au troisième dans ce même couloir, et auront les mêmes consignes. »
Trop tard ! Bourdon, profitant du tumulte, était déjà sorti. Méda, lui, s’était jeté dans les étages où les gendarmes réclamés par le maire l’auraient peut-être saisi, si l’on avait eu le temps et les moyens d’exécuter cet ordre. Fleuriot-Lescot gardait d’étranges illusions. Il ne restait même pas un canon pour établir le barrage à la porte de l’état-major. Coffinhal, le constatant avec fureur, s’en prit à Hanriot, le couvrit de reproches et d’injures. « Tu avais dix-sept compagnies de canonniers. Qu’en as-tu fait, scélérat ? Pourquoi n’as-tu pas donné l’assaut à la Convention ? Comment as-tu laissé entrer ici des assassins ? Tu es un traître ! Tu as lié partie avec nos ennemis ! » Il le houspillait, le secouait. Hanriot, criant au fou, lui échappa, s’enfuit quatre à quatre dans les étages. L’hercule le poursuivit dans l’escalier, le rattrapa dans le couloir du second, et, le soulevant comme une mauviette, le projeta par une fenêtre. Avec un long hurlement, Hanriot tomba de trente pieds de haut dans une courette où un tas d’ordures amortit un peu sa chute.
Les escaliers, les couloirs étaient ainsi pleins de courses et de cris, de remous d’hommes qui fuyaient dans le noir ou se cachaient. Le barrage formé en bas par une quinzaine de gardes n’avait servi qu’à empêcher Augustin Robespierre de poursuivre Bourdon. Il l’avait reconnu, et du reste il savait bien que Maximilien, comme lui-même, ne portait pas de pistolet. Il eût été incapable de s’en servir. Et pourquoi en eût-il pris un, cette fois, lui qui était venu si confiant à la Convention, qui s’apprêtait, la séance terminée, à partir pour Choisy ? Furieux de douleur et de rage, Augustin se débattait au milieu des gardes. Ils n’avaient pas dû se mettre à moins de dix pour le retenir. Ils ne le connaissaient pas, ils ne le comprenaient pas. Il s’arracha de leurs mains, haletant, et puisqu’on ne pouvait sortir par là, remonta, fonça
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