Un vent d'acier
besoin, venait d’éprouver un choc en apprenant que Maximilien, son frère et Couthon n’étaient point morts sur le coup, comme Merlin l’avait annoncé, et quelle atroce agonie ils subissaient. Par quelle inconcevable cruauté avait-on amené Robespierre ici et son frère à la Sûreté générale au lieu de les conduire à l’Hôtel-Dieu ?
La haine accumulée contre Maximilien, qui le faisait traiter aujourd’hui, lui et ses compagnons, comme des bêtes, était épouvantable, et très effrayante pour l’avenir. Tout le Comité sentait cela, mais la Convention savourait son triomphe. Fini le cauchemar ! On recommençait à vivre. Tallien, Fouché, Bourdon de l’Oise, Léonard Bourdon, Thuriot, Barras, Legendre, Panis, Cambon, Merlin de Thionville, Fréron, Gay-Vernon, Vadier, Voulland, et tous ceux qui s’étaient crus marqués pour l’échafaud, respiraient. La joie bouillonnait dans l’Assemblée, avec la haine et la cruauté vengeresse. Les délégations se succédaient à la barre, empressées à féliciter les vainqueurs. Ils avaient sauvé la patrie, leur déclarait-on. Ils avaient abattu les tyrans qui s’imaginaient pouvoir arrêter le cours majestueux de la Révolution. Fouquier-Tinville amena ce qui restait de son tribunal. Le vice-président Scellier, remplaçant Dumas, lut un petit discours écrit par Fouquier lui-même : discours de circonstance, plein d’invectives pour les vaincus et de protestations de zèle pour le gouvernement. Mais Fouquier-Tinville aussi, malgré son aversion pour Robespierre, voyait quel rempart s’effondrait avec lui et Saint-Just, quelle brèche s’ouvrait au flot furieux de la réaction. Claude ne s’étonna point d’entendre l’accusateur public expliquer à l’Assemblée qu’elle n’allait pas expédier si aisément les proscrits. Selon la loi, dit-il, leur identité devait être constatée par deux officiers municipaux. Or les municipaux étant, en l’occurrence, frappés eux-mêmes, cette condition ne pouvait s’exécuter. Comment faire ?
Prétexte inconsistant. Dubon et quatorze de ses collègues, fidèles comme lui, pouvaient parfaitement remplir ladite condition. Claude se garda de le signaler. D’autres qui savaient la chose tout comme lui se turent également. On ergota. On proposa de remplacer pour la circonstance les officiers de la Commune par les commissaires du Département, par les deux administrateurs de police sortis de leur cachot, à la mairie. Claude observa que ce serait illégal. Plusieurs voix l’approuvèrent. Sieyès s’était retourné et le regardait curieusement, mais ne dit rien. Thuriot enrageait.
« Tout délai, s’écria-t-il, serait préjudiciable à la république. L’échafaud devrait être déjà dressé sur la place de la Révolution. Il faut qu’avec les têtes de ses complices tombe aujourd’hui celle de l’infâme Robespierre ! Que le tribunal se retire avec le Comité de Sûreté générale pour résoudre la question sur-le-champ. »
Au bout d’une heure pendant laquelle on continua de recevoir les délégations, le Comité de Sûreté générale n’avait pas tranché le problème, qui aurait pu l’être en quelques secondes. Amar fit appel aux lumières du Comité de Salut public. Claude se rendit à l’hôtel de Brionne avec Billaud-Varenne, et l’on discuta gravement. On décida… de rédiger un rapport sur la question. À ce moment, survint Elie Lacoste, qui ne s’était couché qu’à six heures du matin. La délibération le stupéfia.
« Quoi ! s’exclama-t-il, êtes-vous fous ? Êtes-vous en train de défaire ce que vous avez fait ?
— Écoute, lui dit Claude, la conjuration des Robespierristes est détruite, celle des contre-révolutionnaires se dresse. Nous avons abattu Robespierre, mais ce n’est pas nous qui triomphons, ce sont les Feuillants, les monarchistes, les royalistes.
Il faut garder un rempart contre eux : sinon Robespierre, au moins Saint-Just.
— Vous êtes fous, répéta Lacoste. La conjuration robespierriste ne sera pas détruite tant que ses chefs et ses idoles resteront vivants. Voulez-vous sauver un serpent ? Ne sommes-nous point capables de dompter la contre-révolution, nous qui avons fait mordre la poussière au puissant triumvirat ? »
Le bouillant Lacoste étouffa la velléité de ses collègues. On rédigea néanmoins un rapport, mais bref et concluant à dispenser le Tribunal révolutionnaire du concours des magistrats municipaux.
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