Un vent d'acier
sanglant, martyrisé. L’instant d’après, ses souffrances, son rêve et son atroce désillusion étaient finis. Sanson montrait au peuple la tête à la mâchoire pendante. Une immense clameur de haine et de triomphe la salua. Fleuriot-Lescot, le dernier, monta sur l’échafaud.
Il était sept heures et demie. La Convention venait de se réunir pour sa séance du soir. André Dumont, qui avait tenu à voir supplicier les « assassins de Danton » son ami, courut à l’Assemblée. « Les têtes des monstres viennent de tomber sous le glaive de la loi », annonça-t-il. On applaudit, certains frénétiquement, et dans les tribunes les muscadins éclatèrent en acclamations. Sur quoi, le créole Gouly s’écria : « Après avoir abattu le tyran, nous devons nous empresser, citoyens, de détruire les actes nombreux de sa tyrannie. » Une discussion fiévreuse s’engagea. Mais au bout d’un moment on entendit la voix de Tallien. Il proposait de remettre ces débats au lendemain et d’honorer dignement ce jour, un des plus beaux de la liberté. « Allons nous joindre à nos concitoyens, allons partager l’allégresse commune. » On applaudit de nouveau et Collot d’Herbois leva la séance.
Sur la place de la Révolution, pendant ce temps, les valets du bourreau, piétinant les flaques de sang, avaient entassé dans deux tombereaux les vingt-deux corps décapités. Les têtes étaient à part dans un grand coffre. On ne pouvait pas traverser Paris de bout en bout pour porter ces restes au charnier de Picpus, aussi Dubon avait-il, dès après midi, fait creuser par les ouvriers municipaux une fosse dans l’enclos des Errancis. C’est là, au bout du faubourg de la Petite-Pologne, dans la plaine Monceau, qu’avaient été inhumés, en avril, Danton, Camille Desmoulins, Lucile, et les athéistes Chaumette, Gobel. Ce fut là, près d’eux, sous les murs de la Folie de Chartres, qu’à la nuit tombante les chariots furent déchargés, les cadavres déversés les uns sur les autres, les têtes jetées dans les intervalles. On pelleta de la chaux vive dans la fosse, comme l’avait ordonné la Convention « afin que les restes des tyrans ne puissent être divinisés, un jour ». Le sol fut nivelé, l’enclos refermé, rendu, sous ses frondaisons, au silence, aux oiseaux, à l’alternance des jours et des nuits, au grand mystère de la mort. Était-ce dans le sein de l’Être suprême ou dans l’éternel sommeil, que Robespierre avait rejoint Danton ?
En tout cas, il était mort à cause de sa foi. Voilà du moins ce que pensait Claude. Accoudé avec Lise à leur balcon où ils cherchaient la fraîcheur, il contemplait distraitement le Carrousel, le palais obscur et silencieux, et revivait en esprit les prodigieuses trente-six heures d’où il sortait comme d’un rêve.
« Vois-tu, dit-il, c’est son esprit obstinément et despotiquement religieux, c’est son caractère de prêtre manqué qui ont tué Maximilien. C’est ce caractère qui lui a fait détester des hommes comme Tallien, Barras, Fouché, Fréron, Collot, Billaud et leurs pareils. C’est son intolérance de prêtre sûr de son Dieu, c’est son acharnement de Grand Inquisiteur à remplacer les bûchers par la guillotine qui l’ont fait haïr et nous ont contraints à l’abattre. Il est mort parce que tout en désirant, comme certains d’entre nous, rénover la condition des hommes, établir l’égalité, la fraternité, la justice, il n’avait aucun sentiment de la liberté, il a voulu perpétuer l’antique esclavage des âmes. La Révolution ne pouvait s’achever avec lui. Mais, hélas, je crains qu’elle ne s’achève pas sans lui. »
Il l’avait combattu, condamné. Il le fallait. À peine disparu, il le regrettait, lui et Saint-Just. La discussion entamée tout à l’heure à l’Assemblée, et interrompue par Tallien, montrait assez quelle fièvre de démolition, quelle passion rétrograde l’offensive contre Robespierre avait déchaînées. Après Gouly, demandant et obtenant sans délai que fussent révisées toutes les nominations des membres des commissions populaires, le ci-devant évêque Thibault, avait réclamé une nouvelle organisation du Tribunal révolutionnaire, « œuvre de Couthon et Robespierre », et son épuration radicale. Claude s’était élevé contre une précipitation dangereuse : « Elle ferait le jeu de l’aristocratie qui est à vos portes », avait-il dit. Mais cette
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