Une veuve romaine
j’étais tout à fait prêt à me débaucher allègrement aux frais de l’Empire. Mais ce soir-là, la réalité était bien différente, sur le mont Palatin. On nous servit un excellent repas, sur fond de musique douce, et la conversation fut très agréable. Titus était un bel homme célibataire, et il lui était arrivé de voir l’aube se lever avec ses copains (une ou deux fois, quand il était plus jeune), ce qui lui avait valu une réputation de libertin. Alors, quoi qu’il fasse aujourd’hui, rien ne pouvait le débarrasser de cette fausse étiquette. Il avait toute ma sympathie. J’étais également jeune, beau, célibataire. Et ma déplorable réputation était si difficile à faire oublier que je n’essayais même pas.
Avant le repas, j’avais passé pas mal de temps à améliorer mon apparence dans les bains impériaux – si bien qu’après avoir bien mangé et bien bu, je sentis toute mon énergie refaire surface. Je pris donc congé sous prétexte d’un travail urgent à accomplir. En fait, je venais de penser que le moment était bien choisi pour aller exhiber ma nouvelle coupe de cheveux à travers la ville, pendant que les lotions dont le barbier impérial m’avait aspergé émettaient encore des effluves captivants. Quand il vit qu’un esclave s’était mis en devoir de rattacher mes sandales, Titus me cria :
— Falco, je n’ai pas oublié ton cadeau, tu sais !
— De quel cadeau veux-tu parler, César ? demandai-je prudemment, pensant qu’il faisait référence à ma promesse de retravailler pour lui.
— Celui que je t’ai promis, pour te récompenser de ma chance aux courses !
Par la foudre de Jupiter ! Encore une chose dont je n’avais nulle envie.
Ce cheval, Petit Chéri, avait eu ses bons et ses mauvais côtés. Titus, ayant parié sur lui, avait promis de se montrer reconnaissant pour ses gains élevés. Je me rappelai soudain quelle devait être ma récompense, et je me dis que j’allais avoir besoin de toutes les ressources de mon esprit ingénieux pour me sortir de cette mélasse.
— Un grand honneur, César, mentis-je avec diplomatie.
Et j’ajoutai (avec nettement moins de bon sens) que César aimerait peut-être visiter la résidence de Falco pour en goûter une tranche… Il promit qu’il s’en souviendrait – tandis que je faisais des vœux pour qu’il oublie.
Mon cadeau, au cas où cela vous intriguerait, était un poisson fabuleux.
C’est très songeur que je quittai le mont Palatin : Titus m’avait annoncé son intention de m’envoyer un turbot.
J’ignorais le goût de la chair du turbot, et la quasi-totalité de Rome avec moi. Une fois, j’en avais vu un d’une largeur incroyable dans un bateau de pêche. Sur le marché, ce poisson unique aurait coûté l’équivalent de cinq ou six fois mes revenus annuels. Mais on ne trouvait pas de turbots sur les marchés. Dans leur grande majorité, les pêcheurs qui parvenaient à en attraper un le portaient directement à l’empereur.
Je me trouvais plongé dans un dilemme. Je savais cuisiner. En fait, j’aimais ça. Et après cinq années passées à vivre seul dans une quasi-misère, j’étais devenu le roi du repas pour une personne. J’étais capable de faire griller, frire, ou pocher la plupart des choses qui se mangent – dans un espace réduit, sans les ustensiles vraiment appropriés, et en me contentant des condiments de base. Mes meilleurs efforts produisaient des mets délectables, et les ratages prenaient directement le chemin de la poubelle, sans jamais avoir l’occasion de me rendre malade. Mais il était évident que même moi, je ne parviendrais pas à faire griller un turbot aspergé d’huile d’olive sur un réchaud rudimentaire alimenté de quelques brindilles. La merveille promise par Titus allait nécessiter une poêle monumentale, un plat à servir gigantesque, et mobiliser les talents d’un chef saucier disposant des meilleurs ingrédients et de vrais fourneaux. Il faudrait en outre une équipe de serveurs en uniformes, pour présenter la créature royale sous son meilleur profil à mes invités salivant à l’avance, un orchestre, et une annonce dans la Gazette.
La seule autre solution était de faire cadeau du poisson à quelqu’un. Je le savais, et je savais aussi que je trouverais probablement une troisième voie.
Errant à travers le Forum en quête d’inspiration, je marquai un temps d’arrêt devant le temple de Vesta, la déesse du foyer
Weitere Kostenlose Bücher