Vengeance pour un mort
et bien bâtis.
— Arrêtez ! rugit le prêtre d’une voix qui aurait empli la plus belle cathédrale de toute la chrétienté.
L’homme tapi sur un seuil s’enfonça plus encore dans l’obscurité et disparut.
Le portefaix ramassa le gourdin de l’homme inconscient et se jeta sur les deux individus qui continuaient de frapper le gentilhomme et son serviteur tombés à terre. Quelques coups donnés à la hâte et un nouveau rugissement de l’homme d’Église les mirent en fuite. Johana s’agenouilla auprès de son mari.
— Je crains que tout ce tapage n’attire la garde, dit le porteur. Il serait sage que je déguerpisse avant qu’on ne me demande comment un portefaix peut avoir tant d’argent sur lui.
— Un voleur de bas étage, cracha le prêtre avec dégoût.
— Non, mon père. Sûrement pas un voleur. Mais un joueur hors pair.
Sur ce, il disparut.
— Votre époux…
— Il est en vie, mon père, dit Johana. Ils le sont tous deux. Mais je dois les éloigner d’ici.
Jordi remua et s’assit non sans difficulté.
— Je vous aiderai, madame, si vous voulez bien avoir la bonté de faire une écharpe pour mon bras blessé. Sinon, je vais bien.
— Arriverez-vous à conduire votre époux chez des amis ? demanda le prêtre d’un air gêné. Près d’ici ? Car on m’appelle auprès d’un mourant, et je m’en voudrais d’arriver après que la pauvre âme s’en est allée.
— Partez, mon père, et soyez remercié pour votre aide, lui dit dame Johana qui, de son châle, confectionnait une écharpe pour Jordi. Nous serons bientôt en sécurité chez des amis.
— Puis-je savoir de quels amis il s’agit ? s’enquit Jordi, penché au-dessus d’Arnau Marça. Mon maître ne voulait faire confiance à personne dans cette ville.
— Et nous non plus, répondit sèchement Johana. Mais il fallait se débarrasser de ce prêtre avant qu’il ne se demande qui nous étions.
— Dans ce cas, où allons-nous ?
Johana secoua la tête.
— Nous ne pouvons cacher mon époux dans le jardin d’un étranger et revenir au château en charrette à légumes. Il faut lui trouver un médecin.
— Je suis d’accord, madame. Il y en a d’excellents dans cette ville…
— Certes, mais ceux en qui j’ai confiance reconnaîtraient aussitôt ton maître. Je crois qu’il vaut mieux rester anonymes.
— Oui, madame.
— Connais-tu quelqu’un qui lui donnerait l’hospitalité ? Je peux aller chez une amie, au palais royal, et t’y trouver un lit, mais je ne peux risquer d’emmener Arnau ce soir. Réfléchis, Jordi, dit-elle en s’asseyant sur une marche sale et poussiéreuse.
Jordi ne semblait pas l’avoir entendue. Il regardait vers le sud, en direction du palais ceint de murailles et impénétrable.
— C’est vrai, madame, nous ne pouvons emmener Sa Seigneurie au palais, dit-il en secouant la tête avant de se tourner vers l’est. Je ne vois qu’une solution, et Madame la trouvera certainement déplaisante, mais je connais une femme fiable et discrète susceptible de nous accueillir. Votre Seigneurie a-t-elle encore de l’argent ?
— Oui, Jordi. L’or a été nécessaire pour le sortir de prison, et je savais qu’il en faudrait encore plus avant que ma supplique n’atteigne le procurateur. J’en ai donc pris avec moi. Quel problème pose donc cette femme fiable et discrète dont tu parles ?
— Elle vit au Partit, madame.
— Une putain ?
— Oui, madame. Et je m’en excuse. Mais personne ne pensera que Votre Seigneurie ait pu emmener son époux chez Esclarmonda.
— Elle porte le nom de la vieille reine ?
— Oui, c’est une idée à elle. Mais dans son genre, elle est honnête, et elle sait ce que c’est que d’avoir le monde entier à ses trousses.
Johana posa la main sur le front de son mari. Il remua doucement et gémit avant de s’immobiliser à nouveau.
— Comme nous n’avons pas vraiment le choix, remettons-nous-en à elle. Et puis, j’aime le nom de cette femme. Aide-moi à le relever, Jordi, et nous l’amènerons chez elle.
— Je peux marcher, dit une voix très faible.
— Excellent, mon aimé, dit Johana. Vous êtes revenu à vous. Posez vos bras sur nos épaules. Jordi, place-toi à la droite de ton maître et saisis-le à la taille. Je ferai de même sur sa gauche.
— Et que dirons-nous si quelqu’un passe ? s’inquiéta Jordi.
— Rien du tout. Nous chanterons et tituberons comme tous les autres
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