Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
principaux faits historiques sur lesquels est fondée notre religion ; tels que la chute de nos premiers parens quand ils mangèrent une pomme ; la venue du Christ pour réparer le mal ; ses miracles, ses souffrances, etc.—Quand il eut achevé, un orateur indien se leva pour le remercier.—«Ce que vous venez de nous faire entendre, dit-il, est très-bon. Certes, c'est fort mal que de manger des pommes ; il vaut beaucoup mieux en faire du cidre. Nous vous sommes infiniment obligés d'avoir la bonté de venir si loin de votre pays, pour nous apprendre ce que vos mères vous ont appris. En revanche, je vais vous conter quelque chose de ce que nous tenons des nôtres.
»Au commencement du monde, nos pères ne se nourrissoient que de la chair des animaux ; et quand leur chasse n'étoit pas heureuse, ils mouroient de faim. Deux de nos jeunes chasseurs ayant tué un daim, allumèrent du feu dans les bois pour en faire griller une partie. Au moment où ils étoient prêts à satisfaire leur appétit, ils virent une jeune et belle femme descendre des nues et s'asseoir sur ce sommet que vous voyez là bas, au milieu des montagnes bleues.
Alors les deux chasseurs se dirent l'un à l'autre : C'est un esprit, qui peut-être a senti l'odeur de notre gibier grillé, et désire d'en manger. Il faut lui en offrir. Ils lui présentèrent, en effet, la langue du daim. La jeune femme trouva ce mets de son goût, et leur dit : Votre honêteté sera récompensée. Revenez ici après treize lunes, et vous y trouverez quelque chose qui vous sera très-utile pour vous nourrir vous et vos enfans, jusqu'à la dernière génération. Ils firent ce qu'elle leur disoit, et à leur grand étonnement, ils trouvèrent des plantes qu'ils ne connoissoient point, mais qui, depuis cette époque, ont été constamment cultivées parmi nous, et nous sont d'un grand avantage. Là où la main droite de la jeune femme avoit touché la terre, ils trouvèrent le maïs ; l'endroit où avoit touché sa main gauche, portoit des haricots, et celui où elle s'étoit assise, du tabac».
Le bon missionnaire qu'ennuyoit ce conte ridicule, dit à celui qui le fesoit :—«Je vous ai annoncé des vérités sacrées : mais vous ne m'entretenez que de fables, de fictions, de mensonges».—L'Indien choqué lui répondit : «Mon frère, il semble que vos parens ont eu envers vous le tort de négliger votre éducation. Ils ne vous ont pas appris les premières règles de la politesse. Vous avez vu que nous, qui connoissons et pratiquons ces règles, nous avons cru toutes vos histoires. Pourquoi refusez-vous de croire les nôtres ?»
Lorsque quelques-uns de ces Sauvages viennent dans nos villes, la foule s'assemble autour d'eux, on les regarde avec attention, on les fatigue dans les momens où ils voudraient être seuls. Ils prennent cela pour une grande impolitesse, et ils l'attribuent à ce que nous ignorons les véritables règles du savoir vivre.
—«Nous sommes, disent-ils, aussi curieux que vous, et quand vous venez dans nos villages, nous désirons de vous regarder : mais alors nous nous cachons derrière les buissons, qui sont sur la route où vous devez passer, et nous ne nous avisons jamais d'aller nous mêler parmi vous.»
Leur manière d'entrer dans les villages les uns des autres a aussi ses règles. Ils croient qu'un étranger, qui voyage, manque de civilité lorsqu'il entre dans un village sans avoir donné avis de son arrivée. Aussi, dès que l'un d'eux approche d'un village, il s'arrête, crie, et attend qu'on l'invite à entrer. Ordinairement deux vieillards vont au devant de lui, et lui servent d'introducteurs. Il y a dans chaque village une cabane vide, qu'on appelle la Maison des Étrangers. On y conduit le voyageur, et les vieillards vont de cabane en cabane avertir les habitans qu'il est arrivé un étranger, qui probablement est fatigué et a faim. Chacun lui envoie aussitôt une partie de ce qu'il a pour manger, avec des peaux pour se reposer. Quand l'étranger a pris quelque nourriture et s'est délassé, on lui apporte du tabac et des pipes ; et alors seulement commence la conversation. On demande au voyageur qui il est ? où il va ? quelles nouvelles il apporte ? et on finit communément par lui offrir de lui fournir un guide et des vivres pour continuer son voyage. Mais on n'exige jamais rien pour la réception qu'on lui a faite.
Cette hospitalité, qu'ils considèrent comme une des principales vertus, est également
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