Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
péculat, et ses accusateurs ne purent alléguer aucune preuve contre lui.—«Je n'ai point, dit-il, avec la sainte confiance que lui inspirait la présence de Dieu, je n'ai point pris au peuple la valeur d'un ânon, ni rien fait qui puisse lui nuire».—Mais les propos outrageans de ses ennemis avoient eu du succès parmi le peuple ; car il n'est aucune espèce d'accusation si aisée à faire, ou à être crue par les fripons, que celle de friponnerie.
Enfin, il n'y eut pas moins de deux cents cinquante des principaux hébreux, «fameux dans l'assemblée et hommes de renom» [Nombres, chap. 14.], qui se portèrent à exciter la populace contre Moyse et Aaron, et lui inspirèrent une telle frénésie, qu'elle s'écria :—«Lapidons-les, lapidons-les ; et assurons, par ce moyen, notre liberté. Choisissons ensuite d'autres capitaines, qui nous ramènent en Égypte, en cas que nous ne puissions pas triompher des Cananéens.»
D'après tout cela, il paroît que les Israélites étoient jaloux de leur nouvelle liberté, et que cette jalousie n'étoit pas, par elle-même, un défaut : mais que quand ils se laissèrent séduire par un homme artificieux, qui prétendoit n'avoir en vue que le bien public, et ne songer en aucune manière à ses intérêts particuliers, et qu'ils s'opposèrent à l'établissement de la nouvelle constitution, ils s'attirèrent beaucoup d'embarras et de malheurs.
On voit, en outre, dans cette inappréciable histoire, que lorsqu'au bout de plusieurs siècles, la constitution fut devenue ancienne, qu'on en eut abusé et qu'on proposa d'y faire des changemens, la populace qui avoit accusé Moyse d'ambition et de s'être fait prince, et qui avoit crié :—«Lapidez-le, lapidez-le», fut encore excitée par les grands-prêtres et par les scribes, et reprochant au Messie de vouloir se faire roi des Juifs, cria :—«Crucifiez-le, crucifiez-le.»—
Tout cela nous apprend qu'une sédition populaire contre une mesure publique, ne prouve pas que cette mesure soit mauvaise, encore que la sédition soit excitée et dirigée par des hommes de distinction.
Je conclus, en déclarant que je ne prétends pas qu'on infère de ce que je viens de dire, que notre convention nationale a été divinement inspirée, quand elle nous a donné une constitution fédérative, parce qu'on s'est déraisonnablement et violemment opposé à cette constitution. Cependant j'avoue que je suis si persuadé que la providence s'occupe du gouvernement général du monde, que je ne puis croire qu'un événement qui importe au bien-être de plusieurs millions d'hommes, qui existent déjà ou qui doivent exister, ait lieu sans qu'il soit préparé, influencé et réglé par cet esprit bienfaisant, tout-puissant et présent partout, duquel émanent tous les autres esprits.
SUR L'ÉTAT INTÉRIEUR DE L'AMÉRIQUE, OU TABLEAU DES VRAIS INTÉRÊTS DE CE VASTE CONTINENT.
La tradition rapporte que les premiers Européens qui s'établirent à la Nouvelle-Angleterre, éprouvèrent beaucoup de peines et de difficultés, comme cela arrive ordinairement quand un peuple civilisé fonde une colonie dans un pays sauvage. Ils étoient portés à la piété, et ils demandoient des secours au ciel, par des prières et des jeûnes fréquens. Cet objet de leurs méditations constantes et de leurs entretiens, tenoit leurs esprits dans la tristesse et le mécontentement ; et semblables aux enfans d'Israël, plusieurs d'entr'eux désiroient de retourner dans cette Égypte, que la persécution les avoit engagés à abandonner.
Un jour qu'on proposa dans une assemblée de proclamer un nouveau jeûne, un fermier, plein de bon sens, se leva et observa :—«Que les inconvéniens auxquels ils étoient exposés, et pour lesquels leurs plaintes avoient si souvent fatigué le ciel, n'étoient pas si grands qu'ils auroient pu le craindre, et qu'ils diminuoient chaque jour, à mesure que la colonie se fortifioit ; que la terre commençoit à compenser leur travail et à fournir libéralement à leur subsistance ; que la mer et les rivières étoient remplies de poisson ; que la température étoit douce, le climat sain ; qu'ils pouvoient sur-tout, jouir pleinement de la liberté civile et religieuse ; qu'il croyoit donc qu'il falloit s'entretenir de pareils sujets, parce qu'ils étoient plus consolans, plus propres à les rendre contens de leur situation ; et qu'il convenoit mieux à la gratitude, qu'ils devoient à l'Être-Suprême, de proclamer,
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