Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
province ; et même que ceux, à qui on avoit persuadé d'y aller, sont, pour la plupart, retournés chez eux, en se plaignant beaucoup de la dureté et de la longueur des hivers.
Quant aux deux autres provinces, nous sommes persuadés qu'il est moralement impossible que les habitans des contrées, situées entre les trente-septième et le quarantième degré de latitude nord, dont le climat est tempéré et où il y a encore beaucoup de terres inoccupées, se déterminent à aller s'établir dans les provinces brûlantes et mal-saines des deux Florides. Il serait tout aussi aisé d'engager les habitans de Montpellier à quitter leur climat pour les parties septentrionales de la Russie, ou pour les bords du Sénégal. Enfin, les inspirations de la nature, et l'expérience de tous les âges prouvent qu'un peuple né et vivant dans un climat tempéré, et dans le voisinage d'un pays riche, sain et bien cultivé, ne peut point être forcé à traverser plusieurs centaines de milles pour se rendre dans un port de mer, faire un voyage par mer, et s'établir dans des latitudes excessivement froides ou excessivement chaudes.
Si le comté d'York, en Angleterre, n'étoit ni cultivé, ni habité, et que les habitans, qui sont encore plus au sud de l'île, manquassent de terres, se laisseroient-ils conduire dans le nord de l'Écosse ? Ne voudroient-ils pas plutôt, en dépit de toutes les oppositions, s'établir dans le fertile comté d'York ?
Voilà ce que nous nous sommes crus dans l'obligation de remarquer à l'égard des principes généraux que contient le rapport de 1768.—Nous espérons avoir suffisamment démontré que les argumens, dont on y fait usage, ne peuvent être d'aucun poids contre notre pétition ; et qu'ils ne doivent s'appliquer comme l'exprime le rapport, «qu'aux colonies, qu'on propose d'établir aux frais du royaume, et à la distance de plus de quinze cents milles de la mer, où les habitans étant dans l'impossibilité de fournir de quoi payer les marchandises de la Grande-Bretagne, seroient probablement réduits à en fabriquer eux-mêmes, et resteroient séparés des anciennes colonies par d'immenses déserts.»
Il ne nous reste maintenant qu'à demander si, en 1768, l'intention des lords commissaires du commerce et des colonies étoit que le territoire, qui devoit être renfermé dans les limites, qu'on traça cette année, d'accord avec les Indiens, restât un désert inutile, ou fût établi par les sujets de l'Angleterre ?—Le rapport, que les lords actuels disent contenir tous les argumens contre cet établissement, nous fournit lui-même une ample et satisfaisante réponse à cette question.
En 1768, les lords commissaires après avoir énoncé leur opinion contre les trois nouveaux gouvernemens proposés, s'expriment en ces termes :—«Nous sommes contraires à ces gouvernemens, parce qu'il faut encourager l'établissement d'une immense étendue de côtes, jusqu'à présent inoccupée.
Comme les habitans des colonies du centre auront, d'après les nouvelles limites, la liberté de s'étendre graduellement dans l'intérieur du pays, ces côtes rempliront le but d'augmenter la population et la consommation, bien plus efficacement et plus avantageusement que l'établissement des gouvernemens nouveaux. L'extension graduelle des établissemens sur le même territoire étant proportionnée à la population, entretient les rapports d'un commerce avantageux entre la Grande-Bretagne et ses possessions les plus éloignées ; rapports qui ne peuvent exister dans des colonies séparées par des déserts immenses.»
Peut-il y avoir une opinion plus claire, plus concluante, en faveur de la proposition que nous avons humblement soumise au conseil de sa majesté ?—Les lords commissaires de 1768, ne disent-ils pas positivement que les habitans des colonies du centre auront la liberté de s'étendre graduellement dans l'intérieur du pays ?—N'est-il donc pas bien extraordinaire qu'après deux ans de délibération, les lords commissaires actuels présentent aux lords du conseil privé un rapport, dans lequel se référant à celui de 1768, ils disent : Que tous les argumens à ce sujet y ont été rassemblés avec beaucoup de force et de précision ; et qu'ils ajoutent dans le même paragraphe qu'ils doivent combattre cette opinion et conseiller au roi d'arrêter les progrès des établissemens dans l'intérieur du pays ?—Ils disent encore, «Qu'on doit empêcher, autant qu'il est
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