Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
regardai plus cet écrit comme aussi irréprochable que je l'avois d'abord cru ; et je soupçonnai qu'il s'étoit glissé, dans mes argumens, quelqu'erreur qui s'étendoit à toutes les conséquences que j'en avois tirées, comme cela arrive souvent dans les raisonnemens métaphysiques. En un mot, je finis par être convaincu que la vérité, la probité, la sincérité, dans les relations sociales, étoient de la plus grande importance pour le bonheur de la vie. Je résolus, dès ce moment, de les pratiquer aussi long-temps que je vivrois, et je consignai cette résolution dans mon journal.
La religion révélée n'avoit, à la vérité, comme telle, aucune influence sur mon esprit.
Mais je pensois que, quoique certaines actions pussent n'être pas mauvaises, par la seule raison qu'elle les défendoit, ou bonnes, parce qu'elle les prescrivoit, il étoit pourtant probable que tout bien considéré, ces actions étoient défendues, parce qu'elles étoient dangereuses pour nous, ou commandées parce qu'elles étoient avantageuses par leur nature. Grace à cette persuasion au secours de la divine providence, ou de quelqu'ange protecteur, et peut-être à un concours de circonstances favorables, je fus préservé de toute immoralité et de toute grande et volontaire injustice, dont mon manque de religion m'exposoit à me rendre coupable, dans ce temps dangereux de la jeunesse, et dans les situations hasardeuses où je me trouvai quelquefois, parmi les étrangers et loin des regards et des leçons de mon père.
Peu de temps après mon retour de Burlington, ce que nous avions demandé pour établir notre imprimerie, arriva de Londres. Je réglai mes comptes avec Keimer, et le quittai de son consentement, avant qu'il eût connoissance de mon projet. Nous trouvâmes, Meredith et moi, une maison à louer près du marché. Nous la prîmes. Cette maison, qui depuis a été louée soixante-dix livres sterlings par an, ne nous en coûtoit que vingt-quatre. Pour rendre ce loyer encore moins lourd pour nous, nous cédâmes une partie de la maison à Thomas Godfrey, vitrier, qui vint y demeurer avec sa famille, et chez qui nous nous mîmes en pension.
Nous avions à peine déballé nos caractères et mis notre presse en ordre, que George House, l'une de mes connoissances, m'amena un homme de la campagne, qu'il avoit rencontré dans la rue, cherchant un imprimeur. Nous avions déjà dépensé presque tout notre argent, parce que nous avions été obligés de nous procurer une grande quantité de choses.
Le campagnard nous paya cinq schellings, et ce premier fruit de notre entreprise, venant si à propos, me fit plus de plaisir qu'aucune des sommes que je gagnai depuis ; et le souvenir de la reconnoissance que George House m'inspira en cette occasion, m'a souvent plus disposé, que je ne l'aurois peut-être été, sans cela, à favoriser les jeunes commençans.
Il y a dans tous les pays, des esprits chagrins, qui aiment à prophétiser le malheur. Un être de cette trempe vivoit alors à Philadelphie. C'étoit un homme riche, déjà avancé en âge, ayant un air de sagesse et une manière de parler sentencieuse. Il se nommoit Samuel Mickle. Je ne le connoissois point : mais il s'arrêta un jour à ma porte, et me demanda si j'étois le jeune homme qui avoit, depuis peu, ouvert une imprimerie. Sur ma réponse affirmative, il me dit qu'il en étoit fâché pour moi ; que c'étoit une entreprise dispendieuse, et que l'argent que j'y avois employé seroit perdu, parce que Philadelphie tomboit en décadence, et que tous ses habitans, ou du moins presque tous, avoient déjà été obligés de demander des termes à leurs créanciers. Il ajouta qu'il savoit, d'une manière certaine, que les choses qui pouvoient nous faire supposer le contraire, comme les nouvelles bâtisses, le haussement des loyers, n'étoient que des apparences trompeuses, qui, dans le fait contribuoient à hâter la ruine générale. Il me fit enfin, un si long détail des infortunes qui existoient déjà, et de celles qui devoient bientôt avoir lieu, qu'il me jeta dans une sorte de découragement.
Si j'avois connu cet homme avant de me mettre dans le commerce, je n'aurois sans doute jamais osé m'y hasarder. Cependant il continua à vivre dans cette ville en décadence, et à déclamer de la même manière, refusant pendant plusieurs années, d'acheter une maison, parce que, selon lui, tout alloit chaque jour plus mal ; et à la fin, j'eus la satisfaction de lui
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