Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
enfance, instruits à révérer un peuple dont ils descendoient, et dont les loix, les mœurs, le langage, étoient les leurs. Ils le regardoient comme un modèle de perfection ; et leurs préjugés à cet égard étoient si grands, que les peuples les plus éclairés de l'Europe leur paroissoient des barbares auprès des Anglais.
Le seul nom d'Anglais portoit dans l'ame des Américains, l'idée d'un être grand et bon. Tels étoient les sentimens qu'on leur inspiroit de bonne heure. Il ne falloit donc rien moins que des traitemens injustes, long-temps répétés, pour les faire songer à rompre les liens qui les attachoient à l'Angleterre.
Mais les impôts mis sur le verre, sur le papier, sur les cuirs, sur les matières propres à faire des couleurs, sur le thé et sur plusieurs autres articles ; les franchises enlevées à quelques colonies ; l'opposition des gouverneurs aux mesures législatives de quelques autres ; l'accueil dédaigneux qu'éprouvoient auprès du trône les humbles remontrances, dans lesquelles elles demandoient le redressement de leurs griefs, et beaucoup d'actes violens et oppressifs, excitèrent enfin un ardent esprit d'insurrection. Au lieu de songer à l'appaiser, par une conduite plus modérée et plus juste, les ministres anglais parurent fermement décidés à exiger des colonies l'obéissance la plus servile. Leur imprudence ne servit qu'à faire empirer le mal. Ce fut en vain qu'on s'efforça de les faire renoncer à leurs desseins, en leur représentant que l'exécution en étoit impossible, et que les conséquences en deviendroient funestes à l'Angleterre. Ils persistèrent à les suivre avec une opiniâtreté dont l'histoire fournit peu d'exemples [Cet exemple se renouvelle de nos jours ; et c'est un ministre anglais qui le donne. William Pitt s'opiniâtre à faire la guerre à la France, contre la volonté de presque tout le peuple anglais. (Note du Traducteur.)].
La conservation des colonies de l'Amérique septentrionale étoit si avantageuse à l'Angleterre, qu'il falloit avoir un entêtement extravagant pour continuer à employer des moyens propres à donner à leurs habitans l'idée de se séparer d'elle.
Quand nous considérons les grands progrès qu'on a faits dans la science du gouvernement, l'extension des principes de liberté parmi les peuples de l'Europe, les effets qu'ils ont déjà produits en France, ceux qu'ils auront probablement ailleurs [Cette prophétie, faite il y a cinq ans, est en partie accomplie. (Note du Traducteur.)], et que nous voyons que tout cela est dû à la révolution d'Amérique, nous ne pouvons nous empêcher de trouver étrange que des évènemens, qui peuvent avoir une si grande influence sur le bonheur du genre-humain, aient été occasionnés par la perversité ou l'ignorance du cabinet de Londres.
Franklin ne négligea rien pour engager les ministres anglais à prendre d'autres mesures. Et dans des entretiens particuliers, qu'il eut avec plusieurs chefs du gouvernement, et dans les lettres qu'il leur écrivit, il leur démontra combien leur conduite, à l'égard des Américains, étoit injuste et dangereuse. Il leur déclara que malgré l'attachement des colons pour la métropole, les mauvais traitemens, qu'on leur fesoit éprouver, finiroient par les aliéner. On n'écouta point cet avis. Les ministres suivirent aveuglément leur plan, et mirent les colons dans l'alternative d'opter entre la soumission absolue ou l'insurrection.
En 1775, Franklin voyant que tous ses efforts, pour rétablir l'harmonie entre les colonies et la Grande-Bretagne, étoient inutiles, retourna en Amérique. Il trouva que les hostilités avoient déjà commencé. Le lendemain de son arrivée, il fut élu, par l'assemblée de Pensylvanie, membre du congrès des États-Unis. Peu de temps après on le chargea, ainsi que M. Lynch et M. Harrison, d'aller visiter le camp de Cambridge, et de se concilier avec le commandant en chef, pour tâcher de persuader aux troupes, qu'il étoit nécessaire qu'elles renouvelassent leur enrôlement, dont le terme devoit bientôt expirer ; et qu'elles persévérassent à défendre leur pays.
Vers la fin de la même année, il se rendit en Canada, pour proposer aux habitans d'embrasser, avec les autres colons, la cause de la liberté. Mais il ne put les engager à s'opposer aux mesures du gouvernement britannique. M. le Roy dit, dans une lettre écrite à ce sujet, que le mauvais succès de la négociation de Franklin fut, en
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