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Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I

Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I

Titel: Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benjamin Franklin
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mes cousins apprenant ce que me coûtoit mon sifflet, me dirent que je l'avois payé quatre fois plus qu'il ne valoit. Cela me fit songer aux bonnes choses dont j'aurois pu faire emplette avec l'argent que j'avois donné de trop. On se moqua tant de ma sottise, que je me mis à pleurer de toute ma force ; et la réflexion me causa bien plus de chagrin, que le sifflet ne m'avoit fait de plaisir.
Cependant cela ne laissa pas que de m'être avantageux dans la suite. Je conservai le souvenir de mon sot marché ; et toutes les fois que j'étois tenté d'acheter des choses inutiles, je me disois à moi-même :—«Ne paye pas trop cher le sifflet».—Et j'épargnois mon argent.
Je devins grand, j'entrai dans le monde, j'observai les actions des hommes, et je crus en rencontrer plusieurs, oui, plusieurs, qui payoient trop cher le sifflet.
Quand j'ai vu quelqu'un qui, trop ardent à rechercher les graces de la cour, employoit son temps à assister au lever du roi, sacrifioit son repos, sa liberté, sa vertu, et peut-être ses amis à s'avancer dans cette carrière, je me suis dit :—«Cet homme paye trop cher son sifflet.»
    Quand j'ai vu un autre ambitieux, jaloux d'acquérir la faveur populaire, s'occuper sans cesse d'intrigues politiques, négliger ses propres affaires, et se ruiner en se livrant à cette folie.—«Certes, ai-je dit, celui-ci paye trop cher son sifflet.»
Si je rencontrois un avare, qui renonçât à tous les agrémens de la vie, au plaisir de faire du bien aux autres, à l'estime de ses concitoyens, à la joie d'une bienveillante amitié, pour satisfaire son désir d'accumuler de l'argent :—«Pauvre homme ! disois-je, en vérité, vous payez trop cher votre sifflet.»
Lorsque je trouvois quelqu'homme de plaisir, sacrifiant la culture de son esprit et l'amélioration de sa fortune à des jouissances purement sensuelles :—«Homme trompé, disois-je, vous vous procurez des peines, non de vrais plaisirs : Vous payez trop cher votre sifflet.»
Si j'en voyois un autre aimer la parure, les meubles élégans, les beaux équipages, plus que sa fortune ne le permettoit ; s'endetter pour en avoir, et terminer sa carrière dans une prison :—Hélas ! disois-je, il a payé cher, et très-cher son sifflet.
Quand j'ai vu une douce, aimable et jolie fille mariée à un homme d'un caractère dur et brutal : C'est grand'pitié, ai-je dit, qu'elle ait payé si cher pour un sifflet.
En un mot, je m'imagine que la plus grande partie des malheurs des hommes, viennent de ce qu'ils ne savent pas estimer les choses ce qu'elles valent réellement, et de ce qu'ils payent trop cher leurs sifflets.

PÉTITION DE LA MAIN GAUCHE, À CEUX QUI SONT CHARGÉS D'ÉLEVER DES ENFANS.
    Je m'adresse à tous les amis de la jeunesse, et je les conjure de jeter un regard de compassion sur ma malheureuse destinée, afin qu'ils daignent écarter les préjugés dont je suis victime.
Nous sommes deux sœurs jumelles ; et les deux yeux d'un homme ne se ressemblent pas plus, ni ne sont pas plus faits pour s'accorder l'un avec l'autre, que ma sœur et moi : cependant la partialité de nos parens met entre nous la distinction la plus injurieuse.
Dès mon enfance on m'a appris à considérer ma sœur comme un être d'un rang au-dessus du mien. On m'a laissé grandir sans me donner la moindre instruction, tandis que rien n'a été épargné pour la bien élever. Elle avoit des maîtres qui lui apprenoient à écrire, à dessiner, à jouer des instrumens : mais si par hazard je touchois un crayon, une plume, une aiguille, j'étois aussitôt cruellement grondée ; j'ai même été battue plus d'une fois, parce que je manquois d'adresse et de grace. Il est vrai que quelquefois ma sœur m'associe à ses entreprises : mais elle a toujours grand soin de prendre le devant, et de ne se servir de moi que par nécessité, ou pour figurer auprès d'elle.
Ne croyez pas, messieurs, que mes plaintes ne soient excitées que par la vanité. Non. Mon chagrin a un motif bien plus sérieux. D'après un usage établi dans ma famille, nous sommes obligées, ma sœur et moi, de pourvoir à la subsistance de nos parens. Je vous dirai, en confidence, que ma sœur est sujette à la goutte, aux rhumatismes, à la crampe, sans compter beaucoup d'autres accidens. Or, si elle éprouve quelqu'indisposition, quel sera le sort de notre pauvre famille ? Nos parens ne se repentiront-ils pas alors amèrement d'avoir mis une si grande différence entre deux sœurs

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