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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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nous
tous ici. Ainsi est-ce plus facile de nous discréditer aux yeux de Ceux que
l'on soigne. C'est une pratique courante. Plusieurs de mes collaborateurs ont
dû quitter le pays après de telles menaces. C'est notre métier, il faut savoir
se plier à ces contingences. Nos chauffeurs eux-mêmes, quand ils ravitaillent
les camps, risquent leur peau; il faut en permanence les remplacer par
d'autres. Quant à ceux qui t'ont accusé, je ne peux te dire qui ils sont. Mes
sources d'information sont très sûres et je connais le nom de ton accusateur;
mais j'ai le devoir de mener moi aussi à bien ma mission et je ne puis le
nommer. Maintenant, il te faut rentrer. Porte ton combat ailleurs. Ici, tu n'es
plus qu'un homme en sursis et tu vaux plus que cela. »
    Rita est allée chercher mes affaires à Ain
Arr, dans le village phalangiste. Je crains qu'à cause de moi on ne lui ait
tendu un piège. L'attente de son retour m'est intolérable. J'aurais voulu dire
tant de choses à Gilbert et à Leïla. Je voudrais tant prendre la main de Rita,
rire avec elle, mais je sais qu'à son retour je lirai dans ses yeux, immenses
de chagrin, le dialogue interrompu.
     
    Mardi 18 janvier    
    La voiture de la Croix-Rouge franchit un à
un les barrages qui mènent à l'aéroport. Je m'attends à chaque seconde à un
mitraillage ou à une explosion. Je regarde ce pays, si beau, qui se déroule. On
dirait qu'il m'abandonne. Je le dévore de tous mes yeux pour le retenir, garder
la vie en moi. Je me sens seul et perdu : un petit chariot dans le désert, qui
roule vers la mort. Arrivé à l'aéroport, je me caché derrière un pilier. C'est
peut-être là qu'ils m'attendent. Au détour d'un couloir ou dans la salle des
pas perdus, ma vie va éclater au milieu des valises et des sacs déchirés, dans
cette foule colorée, ou derrière ce pilier de marbre froid. J'attends...

 
    IV
     
    UNE CITÉ NON
INTERDITE
     
     
     
    C'est dans le tourbillon de cette année 1977 que parut mon premier livre, L'Homme qui marchait dans sa tête. Tout autour de moi
les feux de la rampe s'allumèrent. Tous les personnages de la comédie humaine,
comme à Guignol, défilèrent. Et puis, le spectacle terminé, la rampe
s'éteignit. Je retrouvai une nouvelle fois le silence de ma chambre-placard.
    Cette année-là me permit toutefois de
sillonner la France, de retrouver les petites routes de Provence entre
Cavaillon et Oppède-le-Vieux; c'était comme si la chèvre de M. Seguin venait
brouter dans ma mémoire. Puis je remontai vers Paris et m'arrêtai dans ma
région, à Epernay, pour une séance de signatures de mon livre. J'y retrouvai
tous ces gens qui s'étaient évanouis avec mon accident.
    Dans la plus grande librairie de la ville
il y avait une queue de trois cents personnes : les maîtres d'école, les
instituteurs, d'anciennes petites amies devenues mamans, des copains de classe
avec de l'embonpoint, des habitants de tous les quartiers : ceux de la Crayère,
où jadis les nomades cohabitaient avec les pauvres, ceux de Magenta, près de la
grosse scierie. De très vieilles dames défilèrent devant moi qui m'affirmaient
toutes m'avoir « gardé quand j'étais enfant... même que vous et votre sœur
Brigitte vous en faisiez de belles ! »
    J'étais très impressionné par cette
multitude de visages qui réapparaissaient, visages de l'enfance aux clameurs de
récréation. Mon passé jaillissait soudain de cette terre crayeuse d'Epernay.
Mon passé, surgi du temps, existait à nouveau. En mettant pour la centième fois
ma signature sur mon propre livre, je sentais combien l'aventure de ce
personnage hors des normes, hors du temps, que j'étais devenu, me faisait
renaître aux yeux de ceux qui m'avaient vu disparaître en avril 1972. Après
cinq années vécues dans l'ombre, une ombre souvent glaciale, on reconnaissait
enfin en moi quelqu'un de vivant, de chaud.
    Il arrivait pourtant qu'on me le reprochât.
A Paris et ailleurs certains pensaient — ou faisaient semblant de croire — que,
depuis que j'étais passé à la télé et que j'avais acquis une (relative) notoriété,
j'avais changé d'allure, de comportement, d'idées. «-Avant, j'étais un
handicapé parmi d'autres, c'est-à-dire classé, parqué, oublié. Il m'aura fallu
un véritable onc man show autour du monde pour que les gens s'intéressent à moi, m'apprécient. Mais je
suis toujours le même bonhomme! » avais-je envie de crier. Ce que l'on disait
de moi, la façon dont on me

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