Viens la mort on va danser
Danoise,
traverse le hall désert. Je prends ma clef à la réception et m'installe dans ma
chambre. Par la large baie vitrée je regarde la-plage. Deux miliciens en armes
font les cent pas sur le sable. Je tourne le bouton de mon poste et écoute le bulletin
d'informations. Aux dires du commentateur, « tout est calme »; pourtant, j'ai
un drôle de sentiment, une impression de malaise... Je regarde ma porte, je
regarde les deux miliciens. Quelque chose ne tourne pas rond : j'ai l'impression
que l'on m'écoute derrière la porte et que l'on me surveille de la plage.
Soudain le téléphone sonne :
« Allô!
— Monsieur Patrick Segal ? Ici le docteur
Bulle. (Le docteur Bulle est un Autrichien responsable médical de la
Croix-Rouge.) Surtout ne sortez pas de votre chambre, j'arrive dans cinq minutes.
»
Trois coups légers frappés à la porte.
J'ouvre. Entre un homme d'une cinquantaine d'années, légèrement chauve, le
regard protégé par des lunettes fumées. C'est la première fois que je le
rencontre. A peine arrivé au milieu de la chambre, il me dit dans un anglais
parfait, légèrement haché :
« Mon vieux, vous êtes foutu!
- Foutu.., ? Je ne vous comprends pas.
- Vous vous êtes enfoncé dans une drôle de
mélasse. Je viens d'apprendre par notre service de renseignements que vous
étiez accusé d'espionnage.
- D'espionnage ? Mais que voulez-vous ?...
- Laissez-moi parler ! C'est sérieux et
très grave. Vous vous êtes conduit comme un inconscient, et ces gens-là ne
plaisantent pas.
- Mais qui sont ces gens ?
- Ça, je ne peux pas vous le dire. Mais
sachez que, si dans les heures qui viennent vous n'avez pas quitté le pays, ces
« gens-là » vous tueront... Voilà, j'ai terminé ce que j'avais à dire. Réfléchissez
bien. Je dois vous quitter. J'ai déjà passé trop de temps avec vous. »
Le docteur Bulle se lève et, avant de
refermer la porte, me donne ce dernier conseil :
« Ne répondez à personne; gardez fermées
votre porte èt vos fenêtres; n'allumez pas vos lumières. »
Le silence est retombé sur le drap glacé du
lit. Je reste là, épiant le moindre bruit, le moindre pas. Le soir tombe
lentement. Les ombres envahissent l'hôtel. Ne pouvant sortir de ma chambre, je me
couche sans dîner. Je pousse le lit dans le coin le plus reculé de la chambre,
en angle mort par rapport à la fenêtre. Qui sont ces « gens-là » ? Un nom me
vient, je le chasse; il revient; je ne peux pas écarter ce personnage de ma
tête. Plusieurs fois, je me redresse : c'est peut-être lui!
La nuit est venue. Ma dernière nuit
peut-être. Je touche mon front; peut-être est-il en ce moment dans la lunette d ’ un
fusil? Et que fait Leïla? Ses enfants doivent dormir. Ils me manquent en ce
moment de point limite. Je devrais dormir moi aussi, être prêt à affronter
cette mort qui musarde dans les couloirs...
Dimanche 16 janvier
J'essaie toute la matinée de joindre Jean
Hoefliger et le docteur Bulle, mais en vain. Je décide alors de sortir de ma
chambre; En prenant l'ascenseur, je sens une présence dans mon dos, des pas
feutrés sur la moquette. Les garçons d'étage me regardent d'une drôle de
manière. J'arrive à ma table et hésite avant de toucher à ma nourriture. Le
kebbé est là, succulent et comme un supplice de Tantale. « Et puis merde! Je ne
vais quand même pas le faire goûter par un serviteur, comme dans l'Antiquité!
S'ils veulent ma peau, qu'ils la prennent ! Ils ne seront pas les premiers. »
En fin d'après-midi, le docteur Bulle me
fait une visite. '
« Veuillez m'excuser pour hier si je vous
ai parlé un peu brutalement, mais il le fallait. De nouveaux renseignements le
confirment : il faut que vous quittiez ce pays le plus vite possible. J'ai pris
des renseignements sur vous. Certes, vous ne nous avez pas menti, et
pourtant... Pourtant hier, à sept heures du soir, vous n'étiez pas dans votre
chambre comme je vous l'avais recommandé. J'ai fait mon enquête. Le garçon
d'étage affirme ne pas vous avoir vu sortir ni prendre l'ascenseur. Le portier
de même. Il est possible que vous ayez réussi à tromper leur vigilance. Par
contre, il ne vous serait pas possible, à vous qui êtes infirme, d'être
descendu par la fenêtre. A moins...
- Mais tout cela est ridicule. Je ne suis
sorti de ma chambre que ce midi pour aller manger !
- Ne discutez pas, monsieur Segal. Votre situation
est très grave. D'une part « vous n'étiez pas dans votre chambre »,
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