Viens la mort on va danser
sens. Il ajouta,
blaguant un peu : « Les deux choses les plus importantes sont l'étoile polaire
et le top horaire. Avec ceux-là vous faites le point : latitude, longitude,
vous n'êtes jamais perdus !»
Invité moi-même dans quelques débats, je
devins, de fil en aiguille, l'interlocuteur étranger face aux autorités du
Québec. Le problème à traiter était très ancien et grave : « Le handicapé
est-il différent des autres et, s'il l'est, doit-on le recenser comme tel? »
Le mot « handicapé » ayant déjà été
remplacé par « exceptionnel », mes amis québécois avaient largement fait
progresser lé débat. Quant au droit à la différence, nul ne pouvait le nier.
Pourtant, lorsque nous dûmes passer aux travaux pratiques de groupe et étudier
le comportement de chacun devant cette différence, les attitudes se révélèrent
moins nettes.
Lorsque, je lis sur ma carte d'invalidité à
100 p. 100 : « Station debout pénible », j'ai tendance à sourire, mais il y a
là une méconnaissance du problème qui est à l'origine de bien des erreurs. En
regroupant sous une même étiquette les divers maux physiques, on s'interdit de
les prendre en compte et la horde des a priori vient refermer la porte du
ghetto.
Exceptionnel, différent, voilà que le
vocabulaire faisait changer le cours de notre monde.
Une différence de l'être physique mais une égalité
de l'individu social, telle est ma position. Mais, là où le fait se complique,
c'est que l'égalité met l'individu « exceptionnel » au même rang que celui
qualifié de normal (terme à employer du reste avec beaucoup de circonspection).
Le marché de l'emploi doit donc s'ouvrir à ces personnes exceptionnelles. Ce
qui n'est pas simple, compte tenu de l'élévation du nombre de demandeurs.
Faut-il, par ailleurs, parler de
rentabilité entre les deux catégories? Et si la personne exceptionnelle n'est
pas « rentable » — avec toute l'horreur que comporte ce mot —, le droit à
l'existence peut-il lui être contesté ?
Que de questions tout à coup. La médecine
qui croyait tout définir se trouvait bien embarrassée. De mon côté, voilà pourquoi
je me battais.
En effet, l'année 1977 n'avait pas été
seulement pour moi, comme le prétendaient les rats des villes, une année de
scène et d'honneurs. Je profitai de ma faible notoriété pour soutenir auprès
des instances gouvernementales mes idées sur la réinsertion. Lors d'une
émission de télévision, après quelques coups assenés à droite et à gauche, j'annonçai
que le musée du Louvre n'était ouvert qu'un jour par semaine aux handicapés.
J'ajoutai que ceux-ci, pour le visiter, devaient venir en groupes. Pour quelle
raison? Parce qu'il faut aller chercher un gardien, que le gardien doit ensuite
aller chercher la clef et ouvrir l'ascenseur, et que tout cela entraîne un
travail supplémentaire. Je dis que c'était un scandale, que c'était l'un des
rares musées du monde où cela existât. J'eus encore le temps d'annoncer dans
cette même émission — à trois jours d'un match du Tournoi des cinq nations —
que le Parc des Princes était interdit par arrêté préfectoral aux handicapés,
les escaliers empêchant toute évacuation en cas de danger.
Quelques interventions de ce genre firent mouche.
Peu à peu, des prises de contact entre les pouvoirs publics et moi-même
s'établirent. Le département d'architecture de la Ville de Paris me confia,
avec l'aidé de ses architectes, l'aménagement du Parc des Princes. Il fut prévu
— il est prévu — pour 1980 un emplacement, dans un « virage », pouvant recevoir
vingt-cinq fauteuils. Vingt-cinq fauteuils, cela semble peu, mais représente
cent places assises.
Je me vis ensuite confier, toujours avec
l'aide de plusieurs architectes et ingénieurs, la réorganisation des lieux
publics de la capitale : aménagement des mairies; construction d'une piscine
accessible aux handicapés au lycée Henri IV; aménagement du futur vélodrome
d'Hiver; problème des transports, etc. J'espère bien étendre ces projets aux
villes de province.
Ces problèmes d'architecture me
passionnent.
Cette passion remonte à fort loin, au temps
de la nuit, à 1972, à l'accident, à l'hôpital de Genève...
Mon premier souci, en 1972, fut d'y rédiger
un cahier des charges et de dessiner les plans d'un centre de rééducation dans
un milieu favorable aux rencontres. Une âme de bâtisseur pour un homme
vagabond, cela paraît paradoxal. En fait,
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