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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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Pascal raisonne sur le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, ou sur un grain de sable dans l'urètre de Cromwel. Tous ces faits individuels n'ont de valeur que parce qu'ils ont modifié les événements ou qu'ils auraient pu en dévier la série. Ce sont des causes réelles ou possibles. Il faut les laisser aux savants.
    « L'art est à l'opposé des idées générales, ne décritque l'individuel, ne désire que l'unique. Il ne classe pas; il déclasse. Pour autant que cela nous occupe, nos idées générales peuvent être semblables à celles qui ont cours dans la planète Mars, et trois lignes qui se coupent forment un triangle sur tous les points de l'univers. Mais regardez une feuille d'arbre, avec ses nervures capricieuses, ses teintes variées par l'ombre et le soleil, le gonflement qu'y a soulevé la chute d'une goutte de pluie, la piqûre qu'y a laissée un insecte, la trace argentée du petit escargot, la première dorure mortelle qu'y marque l'automne; cherchez une feuille exactement semblable dans toutes les grandes forêts de la terre; je vous mets au défi. Il n'y a pas de science du tégument d'une foliole, des filaments d'une cellule, de la courbure d'une veine, de la manie d'une habitude, des crochets d'un caractère. Que tel homme ait eu le nez tordu, un œil plus haut que l'autre, l'articulation du bras noueuse; qu'il ait eu coutume de manger à telle heure un blanc de poulet, qu'il ait préféré la malvoisie au château-margaux, voilà qui est sans parallèle dans le monde. Aussi bien que Socrate, Thalès aurait pu dire : Gnôthi seauton, mais il ne se serait pas frotté la jambe dans la prison de la même manière avant de boire de la ciguë. Les idées des grands hommes sont le patrimoine commun de l'humanité : chacun d'eux ne posséda réellement que ses bizarreries. Le livre qui décrirait un homme en toutes ses anomalies serait une œuvre d'art comme une estampe japonaise où l'on voit éternellement l'image d'une petite chenille aperçue une fois à une heure particulière du jour. »
    Ce qui fait la valeur d'Aubrey et de Boswell, c'est qu'ils ont eu le goût de ces détails. Boswell nous a donné une idée parfaite de ce que pouvait être le ton de Johnson. Marcel Schwob se réjouit de ce que DiogèneLaërce « nous apprend qu'Aristote portait sur l'estomac une bourse de cuir pleine d'huile chaude et qu'on trouva dans sa maison, après sa mort, quantité de vases de terre. Nous ne saurons jamais ce qu'Aristote faisait de toutes ces poteries. El le mystère en est aussi agréable que le mystère auquel Boswell nous abandonne sur l'usage que faisait Johnson des pelures sèches d'orange qu'il avait coutume de conserver dans ses poches. » Aubrey nous dit que Spencer était un petit homme, portait les cheveux courts, une petite collerette et de petites manchettes; qu'Erasme n'aimait pas le poisson et que, pour Bacon, aucun de ses serviteurs n'osait paraître devant lui sans bottes de cuir d'Espagne, car il sentait aussitôt l'odeur du cuir de veau qui lui était désagréable. Il est impossible de comprendre le 18 Brumaire si l'on ne sait que Napoléon, ce jour-là, avait des boutons et s'était gratté, ce qui avait rendu sa figure sanglante et explique l'erreur des grenadiers.
    Rien de plus délicieux, quand on écrit une biographie, que de partir à la chasse de ces détails vivants à travers les mémoires et les lettres. Quelquefois on lit des centaines de pages sans rien trouver que des idées générales, donc fausses. Puis, tout d'un coup, la vie paraît au détour d'une phrase et le lecteur fidèle la tient en arrêt. Quelle joie par exemple de découvrir que d'Orsay riait d'une forte voix en disant : « Ha ! Ha ! » et en serrant trop fort la main de ses amis. Strachey est admirable à ce jeu; il sait que la petite Victoria, dans son enfance, apprenait de la baronne de Spath à faire des petites boîtes de carton ornées de papier doré et de fleurs peintes. Il note que le journal de Victoria semble écrit par un enfant, mais que ses lettres semblent l'œuvre d'un enfant corrigée par une gouvernante. Il nous fait voir une soirée à Windsor, le cercle autour dela table ronde, et les albums de gravures de la reine, tandis que le prince fait d'interminables parties d'échecs avec trois de ses gentilshommes. Personne n'a été plus conscient de cette importance du détail vrai que le héros de la meilleure des biographies, le Dr Johnson lui-même :
    « Le rôle du biographe

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