Voltaire
Shelley depuis l'enfance vers cette baie de la Spezzia.
Dans la vie de Disraeli, il y a un thème des fleurs, qui tantôt prend la forme d'un pot de géraniums que lui envoie sa sœur, tantôt des primevères de la reine ; il y a un thème de l'Orient, éclatant et clair, qui sonne en fanfare dans l'adolescence, dont les cuivres lentement s'adoucissent et qui n'est plus, vers le temps de la mort, qu'un bruit lointain caché par des violons anglais; et il y a le thème antagoniste de la pluie, cette terrible pluie anglaise qui s'efforce de noyer cette trop vive lumière orientale et qui y réussit; la pluie, qui d'abord met enfuite les chevaliers crottés du tournoi d'Eglinton, la pluie qui submerge Peel et qui déplume les paons de Hughenden, et qui finit par emporter le sorcier ensoleillé lui-même.
De cette grande poésie de la vie, Strachey a su se rendre maître et je sais peu de textes plus beaux que ces dernières pages de Queen Victoria, où il nous montre réunis tous les thèmes de la vie de la reine traversant l'esprit de l'agonisante :
« ... les bois d'Osborne au printemps, tout pleins de primevères pour lord Beaconsfield; les vêtements et les grands airs de lord Palmerston et le visage d'Albert sous la lampe verte, et le premier cerf d'Albert à Balmoral, et Albert dans son uniforme bleu et argent, et le baron entrant par une porte, et lord Melbourne arrivant à Windsor, tandis que les corneilles caquetaient dans les ormes; et l'archevêque de Canterbury à genoux devant elle à l'aube; et les cris de dindon du feu roi, et la douce voix de l'oncle Léopold à Claremont, et Lehzen avec le globe terrestre, et les plumes de sa mère balayant son visage, et une vieille montre à répétition de son père dans une boîte d'écaille, et un tapis jaune, et quelque amical volant de mousseline à ramages, et les arbres, et le gazon de Kensington. »
Cette page fait penser à la marche funèbre de Siegfried, aux thèmes de la Tétralogie revenant voilés de crêpe à la fin du Crépuscule des Dieux. L'esprit goûte une poésie mélancolique à cette rapide revue du passé. Nous ramassons en une pauvre gerbe les fleurs, les rares fleurs qui ont parfumé une existence et nous les offrons aux Destins accomplis. C'est le dernier refrain d'une chanson mourante, la dernière strophe d'un poème achevé. Ici le biographe est l'égal du grand musicien et du grand poète.
1 Voir Alain, Système des Beaux-Arts (la tragédie).
CHAPITRE TROISIÈME
De la biographie considérée comme science
ON ne peul imaginer deux vues de l'histoire plus différentes que celle de Froude et celle de Nicolson. Froude ne croit pas à la vérité historique. Il cite avec approbation la remarque de Talleyrand : « Il n'y a rien qui s'arrange aussi facilement que les faits. » Il écrit : « La plus parfaite histoire d'Angleterre se trouve, à mon avis, dans les pièces historiques de Shakespeare. » En un autre endroit, il imagine que lui-même, avec les autres historiens, passe devant un tribunal chargé d'examiner son œuvre; les juges possèdent un liquide magique qui efface tout ce qui est faux dans ses livres ; page après page, chapitre après chapitre disparaissent, ne laissant subsister çà et là qu'un jugement, en général celui qu'il avait formulé avec le moins de soin et celui que les critiques avaient le plus violemment attaqué.
Mais en face de Froude se place avec courage Harold Nicolson : «Je voudrais suggérer d'abord que la conception scientifique de la biographie est hostile à la conception littéraire et que, dans l'avenir, la premièretuera la seconde. La science biographique exigera non seulement les faits, mais tous les faits; l'art biographique demande que la représentation des faits ne soit que partielle ou artificielle. La curiosité scientifique, en se développant, deviendra insatiable. Aucune puissance de synthèse, aucun génie de présentation ne pourra suivre son pas. Je prévois donc une divergence complète. La biographie scientifique deviendra technique. Il y aura des biographies dans lesquelles le développement de l'être sera tracé dans toute sa complexité et d'une manière qui ne sera compréhensible que pour des experts; il y aura des biographies examinant l'influence de l'hérédité; des biographies fondées sur Galton, sur Lombroso, sur Havelock Ellis, sur Freud ; il y aura des biographies médicales, des études sur l'influence des glandes endocrines sur la formation du caractère,
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