Voltaire
des études de sécrétions internes ; il y aura des biographies sociologiques, esthétiques, philosophiques... Toutes seront sans aucun doute intéressantes et instructives, mais l'accent qui sera mis sur l'aspect analytique ou scientifique du cas dominera inévitablement l'effort littéraire employé pour leur composition. Plus la biographie deviendra une science, moins elle sera un genre littéraire. »
La question que nous nous poserons aujourd'hui est celle-ci : existe-t-il, en biographie, une vérité scientifique ? Ce sujet me paraît se diviser naturellement en deux. D'abord est-il possible de savoir la vérité sur un homme ? Ensuite, dans quelle mesure peut-on découvrir la vérité sur un temps ou sur une période, en racontant l'histoire d'un homme ?
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De quels éléments disposons-nous pour découvrir la vérité sur un homme? D'abord des livres de ceux qui, avant nous, ont écrit sur lui. Il faut les lire avec grand soin, mais leur préférer, toutes les fois que ceux-ci sont accessibles, les documents originaux. Rien ne remplace l'impression personnelle que donne le contact direct avec les lettres, avec le journal d'un homme. Ceux qui nous en parlent les ont déjà déformés. C'est comme dans la vie; nous rencontrons dix témoins qui nous décrivent le même homme; chacun d'eux a sur lui une opinion; ceux qui ne l'ont jamais vu ont fabriqué une légende; ceux qui l'ont rencontré ne se souviennent que d'une anecdote, et l'aspect que l'homme eut pendant un instant devient pour eux tout l'homme. Quand ensuite on se trouve placé en face du visage réel, quand on découvre l'homme lui-même, on est tout émerveillé de voir combien, par exemple, le Poincaré véritable ressemble peu au Poincaré de la légende. On attendait un visage de légiste, sévère et géométrique. On trouve des yeux doux, un regard presque candide.
Il en est de même dans le passé. Là le contact n'est possible qu'à travers des textes et il est imparfait. Mais pourtant comme ces textes écrits par l'homme lui-même ont un son, une nuance particulière qu'aucune paraphrase ne laisse subsister ! Je me souviens de ma surprise quand je lus pour la première fois le journal de Byron, à Ravenne. Là je tenais enfin ce qu'aucun biographe ne m'avait fait voir, Byron devant son feu :
« Resté à la maison toute la matinée - regardé le feu - me suis demandé quand le courrier arriverait... Ecrit cinq lettres en une demi-heure, toutes courtes et sauvages... Entends la voiture, - demande mes pistolets et mon pardessus, comme toujours, - objets nécessaires. - Temps froid, voiture ouverte, et habitants assez barbares- très enflammés par la politique. Belle race, d'ailleurs - bons matériaux pour faire une nation... L'horloge sonne, - je sors pour aller faire ma cour. Assez dangereux, pas désagréable.
« Pensé à la situation des femmes au temps des anciens Grecs - assez commode. Etat actuel, un restant de la barbarie des âges chevaleresques et féodaux - artificiel, antinaturel. Elles devraient s'occuper de la maison - être bien nourries et habillées - mais ne pas se mêler de la vie sociale. Les bien instruire en religion - mais ne leur faire lire ni poésie, ni politique - rien que des livres de piété et de cuisine. Musique - dessin - danse - aussi un peu de jardinage et de labourage, de temps à autre. En Epire, je les ai vues refaire les routes avec grand succès. Pourquoi pas, aussi bien que faucher et traire ?
«Rentré à la maison et joué avec mon bull dogg, - lui ai donné son souper... Mon corbeau boite d'une patte, - me demande comment c'est arrivé, - quelque idiot qui lui a marché dessus, je suppose. Le faucon est de belle humeur, - les chats bruyants, - les singes, je ne les ai pas vus depuis le froid. Les chevaux doivent être gais, - il faudra monter dès que le temps le permettra. Sale temps encore, - l'hiver italien est une triste chose, mais toutes les autres saisons sont charmantes.
«Pourquoi est-ce que j'ai été, toute ma vie, plus ou moins ennuyé? Et pourquoi est-ce que je le suis moins maintenant qu'à vingt ans, si mes souvenirs sont exacts ? Je ne sais pas, je suppose que c'est dans ma nature... La tempérance et l'exercice, que j'essaie de temps à autre, n'y changent rien. Les violentes passions me faisaient du bien; - quand j'étais sous leur influence immédiate - c'est bizarre, mais alors - j'avais l'esprit agité, mais pas déprimé... Nager aussi améliore monhumeur, - mais en
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